Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

endurants, malgré les maux qui vinrent les accabler, sans doute parce que l'amitié fait que deux hommes s'appuient de l'épaule l'un contre l'autre, et sont plus forts de n'avoir qu'un seul cœur. Nous étions là, devant le Cap Charles, à attendre les navires chargés d'oronoac, qui est le tabac de leur contrée, et pour tout dire, le meilleur du monde, quand il nous vient du sud une tempête du diable, avec tout le tintamarre et le mouvement que l'on peut imaginer. Elle soufflait avec une telle violence qu'il n'y avait qu'à lui tourner le dos et à fuir comme on pouvait. On essaya bien de garder la misaine bourcée, mais elle se trouva bientôt fendue en deux endroits, et finalement la plus grande partie fut emportée dans la mer. Avec cela, les vagues étaient si hautes et si courtes qu'elles nous secouaient à dos de cheval. On était jeté les uns sur les autres, ou contre les cloisons du navire, quelque soin que l'on prît de se bien cramponner. Notre charpentier fut jeté hors de bord et se noya, ce qui fut pour nous une perte que l'on ne pouvait réparer. Un autre tomba dans l'écoutille et se cassa la cuisse. Sans parler de bien d'autres accidents de ce genre, mais qui ne valent pas la peine qu'on les dise. Cela dura neuf jours, neuf jours que nous allions quasiment à mâts et à cordes, emportés


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