Les corsaires du Roi

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LA BATAILLE AU TRÉSOR

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les voiles en pantenne et plusieurs vergues rompues, il releva la tête et résolut de passer tout de même, et sans cesser la canonnade. Vous vous demandez comment il fit, n'ayant plus ni boulets ni balles. Mais c'est en cela qu'on reconnaît un homme décidé. Car, tirant maintenant de toutes ses pièces à la fois, il arrosa les Espagnols de la plus étrange mitraille qu'on eût vue jusqu'alors dans les Iles, et je crois bien, dans le monde entier. Il fit apporter près de chaque sabord des barils de piastres et des barres d'argent de sa cargaison. Les canonniers, puisant à pleines pelles, bourraient leurs pièces de ces écus tout reluisants et envoyaient l'effigie du prince porter la mort parmi ses sujets. Les lingots pareillement allaient de la danse : ils vous crevaient les coques et vous emportaient bras et jambes avec un train bien somptueux, ce qui faisait rire aux larmes les gens de la Caroline. Jamais, depuis que la flibuste porte le drapeau blanc sous les tropiques, on n'avait vu combat de monnaie ; et je crois bien que l'étonnement des Espagnols à voir jaillir pareille mitraille fut ce qui permit à Daniel de passer le goulet en fanfare. Notez que les gens de Port-Riche, pour s'être montrés trop curieux, emportèrent leur provision d'écus dans les fesses et ailleurs, ce qui les fit se guérir de la souffrance par l'avarice, car


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