Les corsaires du Roi

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LE BOUCAN DE COCHON

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nous fit bien boire à cause du piment. Ensuite, avec la souplesse d'un virtuose en ces matières, le chef du boucan se mit à découper la chair du cochon sans attaquer la peau, car il est de règle que la couenne demeure intacte au-dessus du foyer. Les morceaux étaient à mesure offerts aux dames, aux capitaines et aux autres convives. Et l'on commença de dévorer cette viande succulente avec une faim de gens levés à l'aube et qui avaient couru la montagne tout le matin. Le Père s'étant remis à table, chacun de nous, dans l'ordre hiérarchique, continua le service du découpage : M. Lambert, le premier, ensuite le capitaine anglais, M. Bréart, les hauturiers, etc. Ils s'en acquittèrent à merveille, comme de vieux boucaniers qu'ils étaient, ayant combattu dans leurs vingt ans parmi les derniers Frèresde-la-Côte. Mais l'appétit des convives allait plus vite que le couteau des écuyers tranchants, et bien que le cochon fût des plus gros, on se serait vu en peine de nourrir les nègres à leur faim s'ils n'avaient eu la précaution de rôtir à leur usage deux ou trois cabris. Pendant ce temps notre chef ne restait pas inactif. Tout en mangeant bien fort et buvant de même, il avait l'œil sur chaque convive, afin de le rappeler si c'était nécessaire à la bienséance d'un boucan. Il est en effet de règle qu'on n'y boive point à petites gorgées, et si l'un d'entre


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