Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

blanc, où d'autres plats dont le nom seul nous tiraillait les boyaux. Il mourut dans la nuit. Nous trouvâmes, le matin, son grand corps immobile couché près de nous, dans sa robe de femme, avec un manchon de dentelle sur la figure. Le Portugais le suivit deux jours après, non sans avoir taillé une bande de chair à la cuisse du cadavre et avoir dévoré cet affreux morceau. Mais je crois bien que c'est cela même qui le perdit et que le Seigneur le punit d'avoir dévoré de la chair de chrétien. Brusquement il entra dans une sorte de fureur, et se mit à danser en relevant sa jupe jusqu'au biribi. Puis il tournoya sur lui-même, tomba sur le corps de Pelsart, et ne bougea plus. Pour moi, je demeurai deux jours et deux nuits encore près de ces cadavres habillés en femmes, dans mon costume de page. La tempête avait cessé, mais je n'avais pas la force de me tramer. Appuyé à la roche, j'attendais la mort avec stupeur, m'étonnant quelquefois qu'un homme chétif pût vivre si longtemps sans manger ni boire. Le corps de Pelsart s'était mis à puer ; la blessure de sa joue, sous le manchon de dentelle, s'était remplie de vers. J'étais tout près de cet affreux spectacle ; je ne pouvais bouger. Je fermai donc les yeux, et peu à peu, je me sentis tomber dans la mort....


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