Les corsaires du Roi

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LA MORT EN DENTELLES

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tuellement notre paresse et notre légèreté, qui ne nous avaient jamais mis en pensée de réunir une provision de moules. Il est vrai que nous n'en avions trouvé chaque jour que juste assez pour nous soutenir ; mais la famine nous rendait injuste vis-à-vis de nous-mêmes et de chacun des autres. Pendant des jours dont je ne veux pas me rappeler le nombre, la tempête continua de se ruer vers notre refuge. Je m'étais enfermé dans une sorte d'indifférence calleuse ou plutôt chagrine. Les plaintes de mes compagnons m'importunaient, et sans penser à mes propres maux, je leur en voulais de souffrir avec tant de bruit. Ils me semblaient plus ridicules que malheureux dans leurs vêtements de femme, leurs dentelles, leurs rubans, embéguinés de velours, comme ils l'étaient, autour de leur figure velue et amaigrie. Je ne songeais pas que j'étais moi-même habillé en page, la toque sur ma tête hirsute, perdu, tant j'étais réduit en squelette, dans mes haut-de-chausses trop larges. Vers le quatrième jour de la tempête, Pelsart, malgré mes supplications, ne put résister à boire de l'eau de mer, et le soir même entra dans le délire. Il s'imaginait voir une table couverte de mets exquis, et nous demandait d'un air égaré pourquoi nous ne lui servions pas de ce poulet rôti, de cette dorade au vin


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