Les corsaires du Roi

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BO UTEILLE-DE-BOIS

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sans plus penser à ce que je faisais là, je cours au panneau, je saute à travers, je tombe dans la batterie et je vais tout droit entre le deuxième et le troisième canons de tribord. Alors celui qui m'aurait vu bondir en l'air, danser le maou, rire aux éclats, me jeter par terre et embrasser le parquet, courir à droite, à gauche, avec des bras aussi longs que je pouvais en avoir, pour tout toucher, caresser, celui-là aurait dit : « Il est saoul, il a perdu le jugement », est-ce que je sais... Ah ! non, les braves, moi je n'étais ni bu ni fou. Savez-vous quoi ? Eh bien, la Sonaquilla c'était la Belle-Jeannette, à bord de quoi j'avais vécu mes années de mousse, mon premier bateau, vous autres, mon premier amour, hein ? et j'avais eu mon hamac dans la batterie, entre Fine-Gueule et Godbi, les deux canons que j'ai dits, comme ça se voyait bien, car dans un calme j'avais gravé sur le bau d'au-dessus un autre canon avec un bonhomme qui était moi, et je venais de retrouver le bonhomme et son canon. De fait, je savais que les Espagnols avaient pris la Belle-Jeannette quand je n'y étais plus. Et la voilà qui était sous mes pieds, autour de moi, avec sa belle coque jolie, et sa mâture inclinée en arrière comme une fille qui porte de l'eau sur la tête, et ses voiles balancées comme des cotillons ; et Fine-Gueule et Godbi couchés sur leurs affûts, matelots à ma droite et à ma gauche, avec leur


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