Les corsaires du Roi

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LA MAIN D'OR AU Ier JUIN

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d'autres venaient à leur place ; j'en ai vu beaucoup pendant le temps que je suis resté là ; mais tous avaient le même air de mauvaise fortune, et je pense que je devais l'avoir comme eux. Est-ce qu'ils venaient chercher de l'amour dans cette maison ? Le Mezzano nourrissait quatre filles, de pauvres juments amenées jadis par les frégates à ribaudes de M. d'Ogeron, vieillies sous le harnois, cavalées de jour et de nuit par des faquins... Je n'ai jamais vu de bouches aussi tristes, ni tant de crasse dans l'amour. Certainement ce n'était ni ces garces, ni le jeu, ni le plaisir de boire qui me retenaient dans un port aussi morne. Il fallait qu'une grande indifférence se fût emparée de ma personne, que je n'eusse plus aucun désir d'aller à l'est, à l'ouest ou ailleurs, persuadé que partout à la fois régnaient la même misère et le même ennui. Au surplus, je ne parlais à personne, pas même au Sicilien qui m'importunait de ses compliments. Pour être plus seul, j'avais envoyé mon équipage faire du bois et chasser dans la forêt. J'entrais à la Ville-Hermose, je m'asseyais dans un coin de la salle, toujours le même, avec un verre d'eau-de-vie près de moi, sur un escabeau. Je fumais... je fumais... Je regardais les gens entrer, s'asseoir, se chamailler autour des cartes, les ivrognes qu'on emportait, le manège des


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