Les corsaires du Roi

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LA MAIN D'OR AU Ier JUIN

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messieurs, comme vous et moi : ils erraient sur la mer ou pourrissaient dans une rade, vivant gueusement de chasse et de pêche, vendant à vil prix, pour satisfaire à leurs passions, ce qu'ils pouvaient de voiles et de cordages. C'est ainsi, la famine en poupe, conduit par je ne sais quel besoin de trouver un paysage conforme à mon humeur, que je vins jeter l'ancre, en mars 1685, à la Pointe-au-Maçon, dans l'île de la Tortue. Ce n'était plus, hélas ! cette terre glorieuse qui avait servi de repaire à nos aïeux, corbeille d'abondance, regorgeante de butin, avec son peuple de boucaniers, d'aventuriers, de belles filles insolentes et le mouvement de ses milliers de voiles. La malédiction du Seigneur semblait avoir frappé ce séjour de délices. Tous les habitants l'avaient quittée pour s'intaller à la GrandeTerre, autour de Port-Paix, du Cap Français, et jusqu'à la Savane de la Limonade. Il ne restait plus que des ruines des beaux quartiers du Cayouc, du Milplantage et même de la BasseTerre dont le hâvre est si commode. La forêt peu à peu reprenait pied dans les anciennes plantations et parmi les murailles écroulées. Aucun navire n'abordait plus de son plein gré à ces rives désertes : il fallait qu'on y fût poussé par la tempête, chassé par les vaisseaux de police ou mené comme je l'étais par le désœuvrement.


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