Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

poursuivait sa besogne de muet. Tout était propre et bien en ordre, comme sur un vaisseau à l'appareillage. Les centaines de lampes pendues aux drisses et aux vergues dessinaient des ombres de tous côtés. Mais pour les hommes, pas un seul n'avait son ombre auprès de lui. La lumière les traversait sans se gêner. Et même, comme l'ancien montait l'escalier du passavant et qu'un marin des squelettes le descendait, ils se rencontrèrent sans se heurter, car le vivant passa à travers le mort, sans même le sentir. Ce n'est pas le temps » aujourd'hui de vous raconter comment il parcourut tout le navire, car un navire c'est un grand pays, et nous ne serions pas encore arrivés demain soir à la batterie basse ; ni comment il vécut parmi les défunts pendant les cinquante ans qu'il demeura sur le Voltigeur-Hollandais, comme son nom se trouvait écrit sous la galerie. Croyez que la cambuse et la cale au vin étaient pleines pour au moins trois mille ans et que les gens du bord ne se nourrissaient que d'air cru. Il vaut mieux vous dire que jamais personne, y compris le capitaine, n'eut l'air de voir qu'il était là, bien qu'il circulât dans toutes les parties du vaisseau, marchant à travers le corps des morts et se couchant même au milieu de leur fantôme. Et c'est comme ça qu'il a connu, lui seul, sans discussion, les vraies manières de ce bateau


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