Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

Il n'était pas heureux cependant. On ne le voyait jamais rire ni s'amuser comme les autres colons. Il passait quelquefois toute la nuit à râler dans son lit. Puis, au petit matin, il apparaissait avec une drôle de figure, prenait son fusil, son cornet à poudre, un sac de balles et de gros plombs, et s'en allait à grands pas vers la montagne. Je crois bien qu'il lui revenait ces jours-là une envie de tuer, car on ne guérit jamais de cette maladie. Il s'enfonçait dans les bois, à la recherche d'une bête, peut-être d'un homme. Ses nègres domestiques le suivaient de très loin, car ils avaient peur que sa folie ne se retournât contre eux. Mais jamais ils n'entendirent un coup de fusil. Il ne revenait que le soir, le visage plus tranquille, remettait son arme à la muraille, et se faisait servir un grand repas qu'il dévorait, le nez dans son assiette, déchirant les viandes avec ses doigts et buvant de grands coups de ratafia ou de madère. Puis il fumait deux ou trois cigales en regardant le soleil rougir le haut des mornes, pendant que les nègres chantaient, et dansaient le calenda. Un soir, qu'il revenait ainsi d'avoir maté sa rage en courant la forêt, il découvrit sous un appentis de sa maison un nid de colibris. Il n'y a rien de plus joli au monde : c'est grand comme la moitié d'un petit œuf de


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