Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

visage, où souriait toujours deux yeux gris malicieux, lui faisait un signe approbateur. Roland traversa la chaussée pour aller à la rencontre du religieux qui venait de lui parler ainsi. C'était le Pére Démaërel, un de ses anciens professeurs, de l'Orde du Saint-Esprit. Ce prêtre qui cac hait sous sa soutane, le cœur le plus délicat qui fut jamais et l'âme la plus spirituelle, était adoré des élèves du Séminaire, qui l'avaient surnommé « le Gentilhomme du Collège ». Il n'avait jamais cessé d'être le confesseur et l'ami de Roland. — Je reviens de la cathédrale où l'Abbé Le Breton m'a retenu un peu longtemps, mais heureusement, puisque cela nous permet de faire un bout de route ensemble. De loin je me suis rendu compte du combat qui s'est livré en toi, et je te félicite de la façon dont tu en es devenu le maître, mon brave enfant, dit le bon Père, du ton familier qu'il conservait près de ses anciens élèves. Je gage qu'avec la grâce de Dieu, sa pensée a contribué encore à te sauver. — Père, elle ne veut pas de moi. Et la voix qui disait ces mots était empreinte d'une telle amertume, que le religieux s'arrêta pour regarder son compagnon. A la lueur du bec électrique, une si grande désolation se lisait sur le visage de celui-ci, que l'âme du Père en fut remuée. — Tu l'as donc demandée en mariage, Roland? ditil. — Oui, et elle préfère entrer en religion, comme si c'était nécessaire pour gagner le Paradis, répondit amèrement le jeune homme. — Roland, c'est pour toi un fâcheux contretemps, mais il faudra savoir te soumettre, mon enfant. — Me soumettre, Père? Je me demande pourquoi le Dieu qu'on appelle « bon », met au monde certaines


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