Coeurs martiniquais

Page 93

CŒURS MARTINIQUAIS

85

fruits de la mer Morte qui s'effritent et tombent en cendres, quand on croît le mieux les saisir. Et enfonçant d'un geste brusque son chapeau sur ses yeux rougis, il s'en alla. Il s'en allait comme un déshérité à qui la terre n'offre plus d'espérance. Ses pas le portaient par habitude vers la demeure de son père, mais son âme en était absente. Dans ces premiers jours de janvier, la nuit qui tombe rapidement commençait à envelopper la ville des sombres voiles de sa brume. Roland passait près d'un de ces casinos tristement célèbres à Saint-Pierre. Ses regards furent attirés par la lumière en provenant. Au son d'une musique ensorcelante, des hommes et des femmes y dansaient : « Entre donc, semblaient-ils dire à Roland. Viens, près de nous tu trouveras l'oubli. La vie est brève et le temps fuit, ne tarde pas. Hâle-toi de cueillir les roses, demain tu ne les retrouverais plus. Le jeune homme s'était arrêté. Une tentation subite le prenait d'entrer en ce lieu où il n'avait jamais mis les pieds. L'idée de se venger ainsi de celle qui n'avait pas voulu de lui, bouillonnait avec colère en son cerveau. Elle éprouverait tant de chagrin, si le hasard lui apprenait qu'il s'y était aventuré !.,. Mais, quand, aux jours bénis de l'adolescence, on s'est épris du parfum des fraîches tendresses, il est rare qu'on puisse se résoudre, à en profaner odieusement le souvenir. Trop près, Roland s'était approché de l'affection désintéressée, du lis ravissant de pureté pour aller s'avilir dans cette boue. Il s'en détourna soudain avec dégoût... Une fois encore, l'image de Ginette l'avait vaincu... Rrusquement, il reprenait sa marche, quelques minutes interrompue, quand soudain une voix le fit trésaillir : — C'est bien, Roland. Et du trottoir opposé, un bon


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.