Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

pauvre petite, y as-tu bien réfléchi ? interrompit Rodolphe, dont les yeux, eux aussi, se mouillaient. — Je l'avais décidé depuis longtemps dans le secret de mon cœur, mais c'est à la montagne que cette idée m'a prise plus fortement et maintenant j'y pense chaque jour. Tonton Rodolphe, tu l'expliqueras à Roland, il comprendra. — Il comprendra?... Ma pauvre grande!... Tu ne sais pas ce qu'une pareille douleur peut causer dans la vie d'un homme ? Roland t'aime tant. — Mais il aime aussi le Ron Dieu et Celui-ci ne l'abandonnera pas. II se consolera, tu verras bien. Et, dans sa foi profonde, déjà ranimée par cette pensée, elle se levait. Son oncle la retint. — Ginette, dit-il de sa voix grave, jamais je ne m'opposerai à ton désir. Mais souviens-toi qu'il dépend là du bonheur de toute ta vie et tu es si jeune : dix-huit ans. Tu prends peut-être pour de la vocation un élan passager de ferveur que tu regretteras plus lard. Je te demanderai donc d'attendre les vingt-deux ans. Si à ce moment tu persistes encore dans tes pensées, je te laisserai libre alors d'agir comme il te plaira. — C'est entendu, fit-elle, docile. Mais ces quatre ans ne me trouveront pas changée, il faut bien le dire à Roland. — Ah! Roland... Voilà le difficile, murmura Rodolphe, plus soucieux qu'il ne voulait le laisser voir. Ce fut Anne-Marie qui se chargea de transmettre à Monsieur Fougeras la réponse à faire au jeune homme. Celui-ci n'eut besoin de rien entendre ; l'air compatissant de son père lui révéla la vérité : — Ainsi papa, elle me repousse ? — Elle ne le repousse pas, mon pauvre enfant ; elle renonce à toi, lui dit son père. 6


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