Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

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Enfin, écoule-moi, puisque tu le désires si vivement, j'en causerai avec Anne-Marie. Il vaut mieux savoir dès maintenant. Anne-Marie aussi était perplexe. Connaissant la nature de son frère, elle craignait pour lui une déception. Certes Ginette aimait Roland, mais elle avait toujours semblé n'avoir pour lui qu'une vive et fraternelle affection. Ses rapports avec le jeune homme, sans être familiers, étaient empreints d'une grande simplicité, sans aucun de ces sentiments de trouble et de timidité que la jeune femme connaissait bien, pour les avoir jadis éprouvés. Elle résolut, dans son embarras, de se confier à Rodolphe et, en même temps que des projets de son frère, fit part de ses craintes à son mari. Celui-ci ne fut nullement surpris. Comme autrefois, Monsieur Fougeras s'était écrié à son sujet, il dit aussi: " Pauvre Roland ! » mais l'accent n'était plus le même. Celui de Rodolphe revêtait une profonde mélancolie. — Anne-Marie, dit-il, il faut que j'en parle à Ginette. A quoi bon attendre encore ? à cause de Roland, il vaut mieux que tout se décide. La jeune fille revenait ce matin là de la messe, son fin visage auréolé des boucles blondes de ses cheveux, toute fraîche et rose dans l'air pur, transfigurée par le céleste rayonnement qu'elle rapportait de sa prière ; et Rodolphe souffrit à la pensée de troubler cette quiétude qui venait à lui. — Ginette, dit-il, assieds-toi là, je voudrais te parler sérieusement. — Moi aussi, tonton Rodolphe. Comme cela se rencontre bien. Je revenais de l'église avec la résolution de te demander quelques minutes d'entretien. Et sans émoi, elle prenait le petit fauteuil que son oncle lui avançait.


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