Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

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respondantes de la Martinique, le décès de Mme Daubray, écrivit au jeune homme pour lui demander ce qu'il comptait faire de sa petite nièce. Rodolphe, qui n'avait jamais pardonné à la vieille demoiselle sa sécheresse de cœur pour son frère, lui répondit que la fille de celui-ci était devenue la sienne et qu'elle ne manquerait jamais de rien. Mlle Amaing ne renouvela pas sa demande. La fillette n'était pas d'ailleurs absolument dépourvue de tous biens. Elle avait hérité de sa mère d'une très belle maison à la Consolation,dont les loyers suffisaient à payer pour l'instant sa pensoin. De son père, elle tenait une vingtaine de mille francs que Rodolphe faisait fructifier. Elle atteignait maintenant ses seize ans et promettait d'être fort belle. Blonde, comme l'avait été sa mère, elle en avait aussi la spendide carnation, les traits un peu fiers, adoucis par l'éclat très pur de ses grands yeux bleus rêveurs. Le chaud soleil des Antilles ne semblait pas l'avoir atteinte ; elle ressemblait plutôt à quelque fleur éclose sous la neige. La pensée qu'elle sortirait bientôt du pensionnat réjouissait à l'avance Anne-Marie. Le temps avait effacé la différence entre la jeune femme et la fillette et maintenant Ginette était pour celle-là plutôt une jeune sœur très aimée qu'une petite fille. Depuis près de deux ans, la présence d'un premier-né dont elle était la marraine égayait la maison de Rodolphe. Le petit Paul faisait les délices de ses parents et Da Ti-Clé, un peu plus cassée, plus ridée, retrouvait pour amuser l'enfant ses vieilles chansons d'autrefois : « Prise tabac, jambette et couteau, Tafia doux passé sirop.»

ou : « Dansé calinda » qui le faisait rire aux éclats, évoquant aux yeux émus de la bonne vieille l'autre petit Paul qu'elle avait jadis bercé des mêmes chants.


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