Coeurs martiniquais

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COEURS MARTINIQUAIS

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partie, dis-moi, crois-tu que le fils de notre amie soit bien capable de faire le bonheur d'une femme de ton temps ? — Celle que Rodolphe Daubray a choisie, n'aura rien à regretter, dit la jeune fille rêveusement. Celui qui est si bon fils ne sera que bon époux. J'ignore ses intimes pensées. Il ne cause guère avec moi, sans doute parce que je ne demeure à ses yeux qu'une petite fille, mais tout révèle en lui une rare délicatesse de sentiment. Ses soins pour sa mère et Ginette en témoignent. Les malheureux racontent de sa charité mille traits dont il ne s'est jamais vanté. Puis je sais, par ma petite amie, qu'il ne néglige pas ses pàques. Il fera certainement un bon mari. Tante, ne penses-tu pas comme moi ? Ces mots, prononcés lentement, étaient empreints d'une douce mélancolie que tante Marna remarqua bien. — Alors, tu crois qu'une de tes compagnes pourrait sans crainte épouser Rodolphe ? — J'en suis certaine, tante. Mlle Fougeras se leva. Elle en savait assez maintenant. Anne-Marie, demeurée seule, ne reprit pas tout de suite son travail interrompu. Dans son âme, avait pénétré une sorte de regret fugitif et un instant, elle s'y abandonna. Ainsi Rodolphe allait se marier ? Entre elle et Ginette il y aurait une autre femme, une étrangère peut-être, qui viendrait en tiers dans leur douce intimité ?... Etait-ce l'unique raison qui attristait soudain la jeune fille ?... Mais non, devant ses yeux, une autre vision aussi passait : La tête fine d'un brun jeune homme, aux cheveux bouclés, aux yeux profonds, dont le regard pensif la suivait parfois de loin. Il y avait de cela trois ans, elle avait eu la typhoïde et une souvenance lui revenait, celle d'avoir vu maintes fois, dans le délire de la fièvre, la même tête brune se confondant aux cheveux


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