Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

songeait plus à se distraire. Elle était assise sur un petit banc de bois, son siège habituel quand elle était chez Ti-Clé, mais ses doigts restaient inactifs. Elle regardait pensivement la vieille femme enfilant pour elle des colliers. Ce travail, qui en tout autre temps, l'eût captivée, la laissait aujourd'hui indifférente. Elle se leva en voyant entrer les deux hommes et vint leur tendre silencieusement son front penché. — Eh! bien, mignonne, veux-tu venir ce soir au « Fort » voir Anne-Marie, lui dit Monsieur Fougeras. Tu resteras quelques jours avec nous; Bonne Maman et tonton Rodolphe le permettent. Au nom d'Anne-Marie, un pâle sourire avait effleuré les lèvres de la fillette. — Bonne Maman sera toute seule, dit-elle. — Mais non, puisque tonton Rodolphe lui reste et qu'elle aura aussi Da Ti-Glé. Alors, c'est dit, tu viens. Dis bonsoir à Da,et allons prendre congé de grand'mère. Elle embrassa affectueusement Ti-Clé qui n'osait rien dire et, à la suite de Monsieur Fougeras, pénétra chez son aïeule. La vieille dame la pressa longuement sur son cœur et les larmes aux yeux la vil s'éloigner. Dans le vestibule, elle prit son chapeau dont Rodolphe lui noua lui-même les rubans, puis après avoir embrassé son oncle, elle s'en alla, la main dans celle de son vieil ami. La maison des Fougeras était située au sommet de la rue des Bons-Enfants. Cette rue qui s'étendait, presqu'à pic, du Séminaire-Collège au Marché, était une des plus montantes du « Fort », quartier dominant, dont le nom venait du fortin jadis élevé par d'Esnambuc (1), et qui 1. Pierre Belain, sieur d'Esnambuc, capitaine général de Saint-Christophe, qui prit possession de la Martinique, en 1635, au nom de la Compagnie de» Iles d'Amérique, fon-

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