Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

rées par les rayons d'un soleil qui,ironiquement, s'était levé comme à l'ordinaire sur la petite île dévastée. Puis le défilé des amis portant leur tribut de condoléances. Enfin la vie, la vie inexorable, reprenant son cours habituel alourdi du poids du souvenir inoubliable. Rodolphe pensait à sa mère dont de nombreux fils d'argent rayaient maintenant la chevelure. Plus que jamais, il l'admirait, la vénérait! Gomme elle s'était fait violence, la pauvre et sainte créature, pour essayer de relever par son courage le moral abattu de sa chère petite orpheline. L'enfant était méconnaissable. Douée d'une vive intelligence, d'une sensibilité très précoce, elle n'en éprouvait que plus son malheur, bien qu'autour d'elle, tout le monde s'ingéniât à le lui faire oublier. Jadis, pétulante et rieuse, elle restait maintenant de longues heures immobile aux pieds de son aïeule, sa tête reposant avec langueur sur les genoux de la vieille dame, ne prêtant plus qu'une oreille distraite aux histoires de Da Ti-Clé, qui la passionnaient si fort auparavant. Parfois, Rodolphe rentrant, la trouvait dans cette pose d'accablement, toute pâle dans sa robe d'orpheline, et le cœur du jeune homme se serrait. Il avait toujours beaucoup aimé la petite fille de son frère, maintenant il se sentait pour elle les entrailles d'un père. Il s'inquiétait du chagrin silencieux de l'enfant, et se disait qu'il fallait à tout prix chercher le moyen de la distraire. Il en était là de ses réflexions, quand on frappa à la porte de son bureau. — Entrez, prononça-t-il, et Monsieur Fougeras parut. Rodolphe se leva vivement, pour lui offrir un siège. Depuis la nuit terrible, les liens d'amitié qui unissaient les deux hommes s'étaient encore resserrés et souvent, le négociant, à la fermeture de son magasin, s'arrêtait à la rue de la Madeleine.


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