Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

Les échecs étaient le passe-temps favori de M. de Ligneul qui trouvait en M. Rustaud un partenaire habile auquel Gaston, le dimanche, cédait volontiers la place. Le jeune homme, peu fort en stratégie, préférait s'amuser au « Furet » avec ses sœurs ou, très enfant encore lui-même, organisait pour les petits, quelque partie de cache-cache autour de la vieille maison. Soune avait alors l'occasion de grogner souvent, quand elle ne riait pas aux larmes, parce que Raymond s'enfermait dans ses placards ou que Maurice dénichait Gaston, noir de fumée, sous la cheminée de la cuisine. D'autres fois, le grenier leur servant de cachette, on entendait crier son vieux plancher vermoulu, ou bien Simone et Marie-Louise s'y mêlant, la course folle se poursuivait sous les cacaoyers. Alors les plus grands, hors d'haleine, tendaient la main aux plus petits pour les aider à franchir le fameux canal dont les citronniers gardent encore le souvenir de maints bains impromptus. Mais le futur départ de la grande sœur avait répandu sur la maison un air de solennité et ce soir-là, on oubliait les " zouëls » pour se réunir autour des fiancés. Augmentée de Pierre et des enfants Rustand, la bande joyeuse jouait au furet. Ninotte, trop petite pour y prendre part, s'était couchée aux pieds de sa mère causant avec Mme Rustand. La brise d'est caressait les cimes, et à travers les feuilles des cocotiers, on voyait se dessiner, au loin, les lignes bleues des mornes " Pitault » et du « Robert », dominant la plaine du Lamentin. A quelque distance de l'échiquier, où MM. de Ligneul et Rustand manœuvraient savamment les pions, Roland se tenait, assis près de sa fiancée. Ils contemplaient ensemble le joli tableau d'intimité qu'offrait la savane du Vieux-Logis. On était loin des jours de deuil et,


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