Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

il s'était hâté de revenir, se demandant jusqu'à quel point le cataclysme atteignait son nouvel employé, et quand il sut l'étendue du malheur qui frappait le jeune créole, sa compassion ne connut pas de bornes. Il fit fermer son magasin, entraîna Roland aux nouvelles et, ne voulant pas le laisser rue Vivienne, le ramena avec lui à sa maison. Mme Farnet fit au jeune homme un accueil plein de compassion. Un des chagrins de l'excellente femme était de n'avoir jamais eu d'enfant. Aussi, se plut-elle à répandre sur l'isolement du pauvre Roland les trésors de sollicitude maternelle enfermés en sou cœur depuis longtemps. Au sein de ce foyer ami, le jeune homme ne fut pas abandonné, et cependant il vécut les jours suivants des heures de véritable agonie. Le Saint-Germain, qui avait quitté Saint-Pierre le 4 mai, lui porta les dernières lettres de sa famille. Un vrai journal de son père relatant le prélude des événements ; un mot affectueux d'Anne-Marie où il était question de l'invitation des de Ligneul que Rodolphe avait déclinée ; enfin une lettre de tante Marna annonçant un colis de confitures, et gémissant sur la cendre qui salissait tout dans la maison. Roland trempa de ses larmes ces pages si chères, et après les avoir baisées cent fois, en recommença la lecture. Le nom de Ginette ne s'y trouvait pas. D'un commun accord, on le lui avait tu, de crainte d'éveiller en lui de stériles et douloureux regrets, et voici que cette omission fit naître en son cœur un autre espoir. Peutêtre n'avait-elle pas péri ? Liliane l'aurait emmenée au Lamentin et le courrier suivant lui porterait un mot d'elle, un mot de pitié certainement, car bien qu'elle ne lui eût jamais écrit, sa fraternelle tendresse ne resterait pas insensible à son malheur.


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