Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

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ses doigts le papier bleu, qu'il n'osait encore laisser bien voir, une intuition douloureuse perça le cœur alarmé de Roland : — Mon père est mort! sanglota-t-il. Alors, M. Vinac, le visage apitoyé, lui passa tristement le câblogramme : « Ligneul à Vinac, Paris. « Epouvantable catastrophe. Familles Daubray, Fougeras disparues. Préparez Roland. » Le jeune homme s'affaissa sur sa chaise en gémissant. 11 avait cru, jadis, être rassasié de douleur et ses lèvres effleuraient à peine l'amer calice. Maintenant il en buvait la lie! Ah! ses bien-aimés qu'il ne verrait plus ! Son père si loyal et si bon, Anne-Marie, Rodolphe, Petit-Paul, tante Marna, qui gâtait tant son brigand, et elle, elle, sa lumière et sa raison, dont la ravissante beauté lui avait subjugué le cœur ! Ah ! pourquoi avaitil fui lâchement ? Pourquoi n'était-il pas resté là-bas ? Il serait mort lui aussi aujourd'hui ! Un poids de fer martelait ses tempes et Monsieur Vinac, l'homme impassible, gagné par cette immense douleur, se sentit subitement les yeux humides. II balbutia quelques paroles de consolation, mais le jeune homme était à cette heure douloureuse où la souffrance parle si fort, qu'elle couvre en nous toute autre voix. L'entrée de nouveaux clients le força cependant à réagir. On réclamait le Directeur. Comme un automate il se leva pendant que Monsieur Vinac s'éclipsait, lui promettant de revenir. Il fut assez maître de lui pour remplir jusqu'au bout sa tâche, mais quand parut Monsieur Farnet, il était à bout de forces. L'industriel rentrait cependant plus tôt qu'il n'avait voulu. Ayant appris, à Neuilly, la Stupéfiante nouvelle,


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