Coeurs martiniquais

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COEURS MARTINIQUAIS

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Suivait, ensuite, le tableau de la ville sous la cendre. Comme elle avait paru petite et chétive au départ, à demi cachée au pied du monstre, sous un voile traînant de lourdes vapeurs !... Et, repris de l'indéfinissable mélancolie qui l'avait assailli en ce moment, Monsieur de Ligneul se taisait devant sa femme et ses enfants songeurs. Autour d'eux, dans la « galerie », les fleurs cueillies par Liliane achevaient de mourir dans les corbeilles. Il sembla soudain à la jeune fille que de ces pauvres tiges penchées s'exhalait une secrète tristesse, que les corolles alanguies pleuraient avec elle sa déception et, n'en pouvant plus supporter la vue, elle s'enfuit subitement vers sa chambre. Mais son loisir d'être seule ne fut pas long. Un de ses petits frères vint la rejoindre. C'était un bambin de quatre ans, qu'elle chérissait particulièrement. Sans façon, il grimpa sur les genoux de la grande sœur et se blottit à sa place préférée. Alors Liliane se mit à le bercer, chantant pour le retenir une de ses complaintes créoles, naïves et douces, qui endorment si bien les tout petits. Mais la pensée de la jeune fille n'était pas aux paroles qu'elle prononçait. De la rue de la Madeleine, elle s'égarait au delà des mers, vers ce Paris mystérieux, où avait été se cacher le chagrin de Roland Fougeras. Le jeune homme ne se doutait pas des événements qui tenaient en émoi sa ville natale, Il ne quittait guère son appartement de la rue Vivienne que pour se rendre à la maison Farnet, où il exerçait les fonctions de contremaître, et l'éruption du Mont Pelé ne faisait pas encore bruit dans le monde. Les dernières nouvelles reçues de la Martinique avaient appris à Roland le départ des Daubray pour Sainle-Philomène, et le jeune homme s'i-


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