Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

l'eau détournée d'un petit ruisseau. Des arbres nombreux lui formaient une ceinture d'ombre; la Lézarde, en de profonds bassins, coulait à ses pieds sous les « pois doux ». Cette rivière, qu'on passait à gué, séparait du Lamentin la vieille demeure, et l'impression d'isolement, naissant de cette sortie accidentée, n'était atténuée que par un bout de chemin de fer reliant la propriété à l'usine recevant ses produits. Cependant, tel qu'il était, M. de Ligneul adorait son Vieux-Logis : « Les vrais amis savent bien trouver le moyen d'y arriver. La Lézarde est leur pierre de touche », disait-il parfois à ses enfants, en s'étendant avec complaisance sûr le rendement des bonnes terres et la solidité de la maison. Celle-ci était en effet à l'épreuve des ouragans et son propriétaire aimait à raconter qu'en 1891, elle avait servi d'abri à plusieurs familles des environs. Tous les ans, de janvier à la mi-juin, un regain de vie animait l' « habitation ». C'était l'époque de la récolte: De robustes travailleursenvahissaient les vastes champs. Armés de coutelas, la poitrine luisant au soleil, ils abattaient vigoureusement les cannes à sucre que les « amareuses » liaient en paquets, destinés à emplir les « cabrouets » Ces lourds véhicules circulaient en cahotant à travers les « traces » ravinées, les uns se rendant à la « pièce », les autres revenant, chargés, vers la gare où se pratiquait l'arrimage des wagons. Les « cabrouetiers » les conduisaient, excitant de la voix les grands bœufs. Sous la chaude action du soleil, l'agréable odeur des cannes coupées emplissait l'air, et le soir, dans la campagne en fête, le sifflet strident de la locomotive annonçait au propriétaire que l'usine enlevait la récolte, pour la convertir en sucre blanc, ou en rhum non moins apprécié.


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