Coeurs martiniquais

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CŒURS MARTINIQUAIS

celui de la lune, son disque apparaissait aux yeux surpris. Le Curé qui passait cria d'en bas à Rodolphe : — Ne dirait-on pas que c'est l'hiver. — Absolument, fit le jeune homme. C'est le môme beau linceul, un peu grisâtre cependant. Anne-Marie et Ginette regardaient surprises et charmées.Da Ti-Clé branlait la tète pendant que Relit-Paul, ravi, ramassait la cendre à pleines poignées. Rodolphe dut bientôt laisser les siens. La fine pluie avait cessé, mais le jeune homme se proposa de revenir chercher sa famille. Il serait plus tranquille de l'avoir près de lui à Saint-Pierre. Il partit donc vers neuf heures, recommandant à Anne-Marie de faire ses préparatifs. La jeune femme et Ginette empilaient du linge dans les paniers. Le ciel s'était encore obscurci ; la cendre avait recommencé, l'atmosphère en était imprégnée, on la sentait grincer sous les dents. Soudain, les bœufs du Fonds-Canouville se mirent à mugir sinistrement, des oiselets effarés traversèrent l'air en battant des ailes. Petit-Paul toussait dans le salon. Anne-Marie descendit l'y retrouver suivie de près par Ginette. A peine arrivaient-elles près de lui qu'elles furent plongées dans les ténèbres,si l'on peut donner ce nom au brouillard de couleur jaunâtre qui les déroba subitement l'une à l'autre. Anne-Marie s'était déjà emparée de son enfant. D'instinct, elle s'enfuit vers l'église, suivie de Ginette qui ne lui lâchait pas la robe. Elles ne surent jamais bien comment elles se trouvèrent réunies, près des servantes, au pied de l'autel de la Vierge. Le Curé s'y trouvait, lui aussi, toujours à son poste comme il sut l'être jusqu'à la dernière minute. La population du bourg, affolée, ne tarda pas à emplir l'église. Une âcre odeur tenait à la gorge, faisant toussoter les


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