Coeurs martiniquais

Page 113

CŒURS MARTINIQUAIS

105

— Attends encore un peu, dit Anne-Marie. Tout se dissipera peut-être et Petit-Paul va si bien. La nuit qui suivit, fut inquiétante. L'orage s'était déchaîné sur la montagne, inondant de sinistres lueurs le petit bourg blotti à ses pieds. Rodolphe se leva pour se rendre compte : Les tamariniers semblaient en feu. La-haut, au-dessus du morne La Croix, des éclairs fulgurants zigzaguaient. Un bourdonnement continu accompagnait le spectacle, coupé de sourdes détonations. Des gerbes de. feu s'élançaient, répondant aux éclats de la foudre. Ce feu d'artifice était si beau que Rodolphe oubliait de s'inquiéter. Anne-Marie et Ginette, enveloppées de châles, vinrent le trouver sur le balcon. Bientôt des murmures confus, des bruits de pas se firent entendre. A la lueur des éclairs, on vit passer des malheureux effarés et tremblants. C'était la population des hauteurs qui fuyait devant le danger. De quelques fenêtres entrouvertes, les habitants les interpellaient, leur offrant de s'arrêter. Eux. faisant des gestes de dénégation, continuaient plus vite leur chemin, préférant s'en aller vers Saint-Pierre. Toute la nuit, cet exode continua. Anne-Marie et Ginette, fatiguées, avaient regagné leurs chambres. Rodolphe ne tarda pas à faire comme elles. Le lendemain, à leur réveil, un spectacle inoubliable les cloua à leurs fenêtres. Le bourg entier et la campagne étaient recouverts de cendre. La couche épaisse tapissait tout. Les toits en étaient surchargés. Les gros tamarins ressemblaient à de gigantesques houppes grises. Les larges feuilles des bananiers, succombant sous un poids trop lourd, pendaient le long de leur tronc, pleurant leur grâce disparue. Le soleil, à son lever, tenta vainement de percer la nue. Comparable à


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.