COEURS
MARTINIQUAIS
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lieu, les Caraïbes, plutôt que de se rendre, s'étaient précipités là, dans les eaux. Pas un n'en était revenu : Da Ti-Clé, quand elle y passait, se signait avec effroi, en serrant contre elle, PetitPaul. Anne-Marie et Ginette considéraient rêveusement le gouffre bleu qui avait englouti les malheureux. Ceux-ci, insensibles à la civilisation dont ils ignoraient les bienfaits, n'avaient pas hésité à sacrifiera l'esclavage qu'ils appréhendaient, leur sauvage liberté. Un peu de mélancolie montait à l'âme des deux femmes en y songeant, pendant que Ti-Clé évoquait devant l'abîme ces images légendaires du passé. Le soir, la promenade avait un autre but. Rodolphe arrivant de Saint-Pierre, on allait à sa rencontre. Le jeune homme alors s'arrêtait, et laissant Martino ramener seul la voiture, prenait Petit-Paul dans ses bras pour continuer la route à pied, entre sa femme et sa nièce. De retour à la maison, Ginette s'isolait sur la plage. C'était son heure de méditation. Assise sur un vieux tronc, ou sur quelque canot renversé, le chapelet aux doigts, elle contemplait l'immensité. La nuit la trouvait ainsi. Parfois, la lune baignant le paysage faisait miroiter les eaux. Les étoiles s'allumaient au firmament. La jeune fille, recueillie, laissait son âme s'envoler dans cet infini qui l'enveloppait de mystérieuses attirances. Sa pensée s'en allait vers Roland et Liliane, et souvent, elle chargeait pour eux de doux messages les astres brillants : — « Vous qui, de vos purs rayon repandu au loin la lumière, allez éclairer ceux qui me sont chers. Dites à Roland qu'il aime Liliane et que je suis à jamais leur sœur. »
Un soir qu'elle rêvait ainsi, elle fut ramenée à par un bourdonnement étrange et prolange. Il lui sem-
elle