Youma : roman martiniquais

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— 94 — vite, si ardemment qu'elle n'eut pas la force de l'interrompre. Il lui dit ses espoirs, ses projets. Il avait un peu d'argent et savait ce qu'il voulait faire. Ils achèteraient un peu de terre à la campagne (la campagne était si belle, à la Dominique, tout y était très bon marché, et il n'y avait pas de serpents). Il construirait lui-même leur maisonnette, et planterait un petit verger... La barque du maître était toute prête pour leur fuite ; le vent et la mer leur étaient favorables, la lune ne se lèverait qu'après minuit ; il n'y avait donc rien à craindre... Et dès l'aurore prochaine ils seraient libres. Il lui parla de son amour pour elle, — de la vie qu'ils mèneraient ensemble, de la liberté telle qu'il se l'imaginait, de leurs enfants qui naîtraient libres, — avec une naïve puissance de persuasion, et avec une plénitude qui montrait combien longtemps et ardemment il avait nourri ce rêve. Et pour donner plus de couleur à sa pensée, il se servait de ces étranges mots créoles qui, pareils aux lézards des tropiques, changent de couleur suivant les positions qu'ils occupent. Ce ne fut que lorsqu'il eut dit tout ce qu'il y avait dans son cœur, que Youma put lui répondre, les larmes coulant sur ses joues. — Oh ! Gabriel ! Je ne puis pas partir ! Ne me parlez plus ! C'est impossible !


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