Youma : roman martiniquais

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- 84 l'abandon de ses amis, de la fuite loin de son lieu de naissance, du manquement à tous ses devoirs, qui la déclasseraient pour toujours et lui feraient perdre l'estime de tous ceux qui avaient confiance en elle. Mais, maintenant, tandis qu'elle songeait, qu'elle songeait très sérieusement, elle savait que lorsqu'elle aurait mal agi la honte lui brûlerait le visage. Non ! Non ! Non ! ce n'était pas vrai que sa vie avait été absolument malheureuse. Elle se rappelait une suite douce et brillante de jours délicieux. Et surtout les jours de son enfance, avec Aimée, quand elles jouaient ensemble dans la maison de Mme Peyronnette, dans la grande belle cour ensoleillée, pleine de palmiers et de plantes bizarres aux feuilles gigantesques, la grande cour d'où on apercevait, dans la clarté bleue, toute la baie merveilleuse qui s'étend entre Grosse Roche et Fond Carré, avec ses navires allant et venant par-dessus l'horizon ou bien se balançant paresseusement à l'ancre : — la grande cour où, tous les matins, elles donnaient à manger aux zanolis, les petits lézards verts qui vivaient dans la tonnelle et qui descendaient, en un scintillement, du haut de la voûte verte de vigne grimpante, pour ramasser les miettes qu'elles leur jetaient... Aimée qui avait tout partagé avec elle, même lorsqu'elle était devenue une grande jeune fille... Aimée, dont la main de mourante avait serré la


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