Youma : roman martiniquais

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— 77 — ronnette avait tout fait pour lui inculquer, sentiment d'une supériorité sociale parmi ceux de sa classe, elle se surprenait parfois à envier le lot de certaines femmes qui eussent volontiers changé de place avec elle : les filles qui voyageaient

en chantant par les routes ensoleillées des

montagnes, les négresses qui travaillaient aux champs, en chantant des bêlais au rythme du ha. Youma ressentait comme un plaisir douloureux à les regarder. Elle souffrait tant de la lassitude de l'inaction physique. Elle était si lasse de vivre à l'ombre, de se reposer dans des fauteuils à bascule, de parler le babil enfantin !... De même autrefois elle s'était lassée de vivre derrière les volets clos à broder ou à coudre dans le demi jour, à écouter les conversations qu'elle ne comprenait pas. Pourtant, à ces moments-là, elle s'était jugée ingrate, presque méchante ; elle avait lutté contre son mécontentement, elle l'avait vaincu, jusqu'à l'arrivée de Gabriel. Gabriel !... Il lui avait révélé un monde nouveau, où se trouvait tout ce à quoi son être aspirait, — la lumière, la joie, la mélodie. Il lui apparut comme mêlé en quelque sorte à la liberté de l'air et du soleil, à la liberté de la rivière et de la mer, — aux parfums frais des bois et des champs, — aux longues ombres bleues du matin, à la lumière rose du clair de lune tropical, aux chansons des chanterelles, à


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