Youma : roman martiniquais

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— 75 — haïr M. Desrivières, à haïr tout le monde, — sauf Gabriel. Dès l'arrivée de Gabriel dans sa vie, quelque chose qui depuis longtemps était tenu en soumission chez elle, quelque chose qui ressemblait à une seconde âme plus sombre, plus passionnée, remplie d'étranges impulsions et de mystérieuses émotions, s'était levé allant au devant de Gabriel, brisant ses liens, et parvenant enfin à la domination : la nature de la race sauvage dont le sang prédominait dans ses veines. Jusqu'ici, les révoltes de ce sang sauvage n'avaient eu d'autres résultats que de secrets accès de mélancolie, qui commencèrent après le départ d'Aimée pour le couvent. C'est à cette époque que Youma fut admise pour la première fois dans une existence qui, dans ce temps, était entourée par les hauts murs de formalités extraordinaires. Sauf pendant les soirées d'une brève saison théâtrale, et à l'occasion d'un bal très choisi, les dames créoles demeuraient presque cloîtrées chez elles, d'un

dimanche à

l'autre. Elles ne quittaient guère leur appartement sauf pour aller à l'église ; elles n'entraient jamais, sous aucun prétexte, dans un magasin, car elles faisaient faire leurs moindres emplettes par leurs esclaves. Enervées par un climat qui eût sans doute exterminé l'élément européen de la population au bout de quelques générations, sans la


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