Youma : roman martiniquais

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— 74 — racher du premier nègre vulgaire qui lui faisait la cour avait besoin d'être surveillée... Et Mme Peyronnette comptait s'assurer que pareille aventure ne se reproduirait pas. M. Desrivières ne fit aucune résistance aux désirs de sa belle-mère. Il déclara qu'il avait l'intention de revenir en ville aussitôt que possible et qu'il ramènerait Mayotte et sa bonne avec lui. Cette décision causa à Youma un choc si douloureux qu'elle en fut trop étourdie pour pleurer. Puis, avec le ressentiment machinal et instinctif que provoque la douleur soudaine, elle comprit pour la première fois, pleinement et amèrement, qu'elle n'était qu'une esclave impuissante à résister à la volonté qui la frappait. Toutes les déceptions qu'elle avait eues, toutes les contraintes, tous les refus, tous les reproches qu'elle avait subis, toutes les fois où elle avait réprimé un mouvement spontané, toutes les petites peines dont elle avait souffert revinrent en foule à sa mémoire, la brûlant. Elle eut l'illusion qu'elle avait été malheureuse toute sa vie, et elle fut remplie d'une colère sourde et violente contre la longue injustice dont elle s'imaginait être la victime, — d'une colère qui anéantit son bon sens, son habitude acquise de sereine résignation. A ce moment elle se prit presque à haïr sa marraine, à


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