Youma : roman martiniquais

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— 65 — canne. Un autre jour, tandis

que Youma conduisait

l'enfant à la rivière pour prendre son bain matinal, elle y trouva, fixé sur les bords du petit étang, un large banc rustique, construit avec des longues branches résistantes du pommier rose, et dont le siège et le dossier étaient de bambous fendus : c'était l'œuvre de Gabriel, il y avait travaillé toute la nuit, et l'avait porté à la rivière avant l'aurore, pour faire une surprise à Youma... Toutes silencieuses que fussent les visites de Gabriel, elles commençaient à exercer sur Youma une certaine influence. Elle y trouvait un plaisir inaccoutumé — elle se surprit à les attendre avec une ardeur inconsciente ; elle se sentait même vaguement malheureuse lorsqu'il ne venait pas. Et pourtant, lorsqu'elle ne l'avait pas vu depuis plus longtemps que de coutume, elle ne demandait jamais ce qui avait retardé sa visite : elle ne se serait jamais avoué qu'elle redoutait l'indifférence de Gabriel. Celui-ci d'autre part ne donnait jamais d'explication. Ces deux natures étranges se comprenaient sans parler, d'une façon muette, primitive, et à demi barbare. ...Une après-midi, il apporta un beau sapoie, — ce fruit à la peau douce, rosée et sombre, qui rappelle à l'imagination créole la beauté des métis. Sa graine noire et plate contient entre les deux moitiés du noyau une pellicule, 5


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