Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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LE

GOUVERNEMENT

DE

LA

COMPAGNIE

DES

INDES

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immobilisant durant toute la nuit la flotte batave. Le lieutenant Grancourt, commandant dans le quartier du Fort-Royal, donna l'alerte à Saint-Pierre. Baas, alité, fit partir les sieurs L'Herpinière, son neveu, et Gémosat pour se « jeter dans la forteresse » menacée et pour y faire entrer les compagnies de milices les plus voisines, celles du quartier du Fort-Royal et de la Case-Pilote (53). Il leur recommanda de s'entendre avec le marquis d'Amblimont, commandant le vaisseau du roi, les Jeux, ancré dans le Carénage. Mais craignant que ces officiers ne se disputassent le commandement, il donna l'ordre à Sainte-Marthe de se rendre immédiatement sur les lieux. Le gouverneur quitta Saint-Pierre en canot, à cinq heures du soir, et parvint à destination à quatre heures du matin. Aussitôt, d'Amblimont mit à sa disposition un enseigne et une douzaine de marins ; les capitaines des deux navires qui étaient ancrés dans le port donnèrent une partie de leur équipage ; les habitants les plus voisins arrivèrent. En tout, ils étaient 161 hommes. Vers les dix heures, la brise matinale souffla. L'amiral hollandais mit le temps à profit. L'on vit se détacher du gros de ses vaisseaux, deux frégates et un brûlot, pour franchir la passe. Sainte-Marthe s'aperçut de la manœuvre et, danger paraissant imminent, fit couler aussitôt dans « le chenal », pour le fermer, les deux navires chargés de denrées qui « se trouvaient en partance ». L'ordre promptement s'exécuta. « Cet écueil improvisé », qui se voyait de loin par les mâts, surprit Ruyter qui comprit qu'on obstruait l'entrée du port pour sauver de la destruction les vaisseaux ancrés. Alors Ruyter rappela par signaux ses navires qui revinrent prendre leur place au milieu de son escadre (54). (53) LACALLE : Rapport dans « La Gazette de France », année 1674, p. 1207. (54) Nous extrayons de la lettre de Baas datée de la Martinique, 28 août 1674, ce passage : « Et Ruyter qui avait été pris d'un calme à l'entrée du golfe fut favorisé, le lendemain 20 juillet, d'un vent qui le poussa à 10 heures du matin droit au lieu où il voulait mouiller ; tout aussitôt, on mit toutes les chaloupes en mer et toutes les chaloupes furent chargées d'officiers et de soldats qui, soutenus de leurs canons, descendirent à terre sans aucun empêchement. Cependant Ruyter, qui voulait commencer son expédition par la prise ou par la perte des vaisseaux qui étaient dans le Carénage, détacha deux frégates avec un brûlot qui, après avoir doublé la tête du rocher, voulurent entrer dans le chenal qui conduit dans le Carénage; mais on trouva le moyen de résister à son effort en y faisant couler à fond deux vaisseaux marchands qui se trouvèrent là fort à propos pour leur fermer le passage : cela et notre nouvelle batterie de 13 pièces, leur ayant fait connaître l'impossibilité de cette entreprise, firent que les vaisseaux ennemis se retirèrent... » (Arch. Nat. Col. F3-26, f08 108-109.) Certains historiens, s'inspirant presque uniquement du rapport Lacalle inséré dans la Gazette de France (année 1674, p. 1207), ont placé l'immersion des vaisseaux français après que les Hollandais eurent essuyé par terre une première défaite. A notre avis, on ne peut comprendre que Ruyter, avant d'engager toute autre action militaire, n'ait pas pensé à la destruction des vaisseaux ancrés dans la baie du Fort-Royal qu'il attaquait. C'est pourquoi 6


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