Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA MARTINIQUE

IV LES CONSÉQUENCES DU RÉGIME ESCLAVAGISTE Les nègres, apparaissant dès l'origine de la colonisation, contribuèrent pour une large part à la fondation des établissements français. Le principe de leur liberté se posa en même temps. A peine les Anglais eurent-ils convenu des bornes de leurs terres à Saint-Christophe, avec les Français, qu'ils voulurent profiter de la loi du nombre et chasser ceux-ci de leur partie. Les protestations de d'Enambuc seraient alors demeurées vaines, s'il n'avait pu se servir de cinq à six cents esclaves, armés de coutelas et de serpes, pour les refouler dans leur territoire, en promettant à ces braves guerriers la liberté. Ceux-ci « parurent aussi effroyables que des démons ». Les Anglais durent souscrire aux conditions des Français par la « terreur que les nègres jetèrent dans l'esprit du petit peuple et des femmes anglaises ». Les Africains auraient pu, s'ils avaient eu conscience de leur force, se rendre maîtres de l'île. Mais, dira Peytraud, « leur intelligence n'allait pas jusqu'à la conception d'un tel projet » (85). Plus tard, à mesure que la population noire s'accrut, l'appât de la liberté excita certains nègres déjà conscients, torturés de souffrances morales et physiques à prendre des décisions violentes pour s'affranchir de toute tutelle, de toute servitude. Ce fut, généralement, le cas des déserteurs. Nous distinguerons, avec Schoelcher, trois sortes de nègres marrons (86) : 1° L'homme énergique et résolu qui entend garder la liberté même au prix de la vie; 2° Celui dont le courage mis à l'épreuve renonce à la vie vagabonde et revient à la grande case. 3° Le nomade qui finit par se laisser prendre. De ces trois hommes, le premier seul nous intéresse. C'est lui qui s'allie aux sauvages pour terroriser les habitants, au début de la colonisation. Le 29 août 1657, il est devant Saint-Pierre, roucoué, dira un écrivain, sur le morne Riflet, brûlant en plein jour quelques cases, tuant plusieurs personnes et livrant brave(85) L. PEYTRAUD : L'esclavage aux Antilles Françaises avant 1789, pp. 8-9. (86) Le nom marron vient de l'espagnol cimarron, qui veut dire sauvage, et ce mot de cimarron lui-même paraît venir de symarron, nom d'une peuplade située autrefois entre Nombre-de-Dios et Panama, qui, s'étant révoltée contre les Espagnols, fut réduite par eux en esclavage. On appela donc nègres marrons les esclaves insoumis qui, pour échapper à la servitude ou mauvais traitement, s'enfuyaient de l'habitation de leur maître et allaient chercher refuge dans la forêt ou dans la montagne. (Ibid., pp. 342-345.)


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