Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE

POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA

MARTINIQUE

clavage. C'est la règle qui doit être suivie à ce sujet, qui ne peut tirer aucune conséquence ni augmenter considérablement le nombre des nègres libres, parce que les habitants en amènent peu et qu'en choisissant, lorsqu'ils seront obligés d'en amener pour les servir, ceux qu'ils traitent le mieux et dans lesquels ils ont plus de confiance, ils soient de plus certains qu'ils ne désireront point de les quitter (73). » Si sensée que paraisse cette lettre, si éprouvée que la fidélité des serviteurs eût été en Amérique, les esclaves convoitaient généralement la liberté. Le mobile de leur soumission n'était-il pas justement basé sur la conviction de recevoir tôt ou tard la libération, en échange de leurs loyaux services ? Nul doute que tous désiraient profiter des faveurs du maître. Leur attitude changeait donc en Europe, car ils refusaient de retourner aux îles où les attendait leur condition première. Ils savaient de plus que le Parlement de Paris et d'autres tribunaux de France, malgré les édits de 1716 et 1738, refusaient de reconnaître comme esclaves les nègres de la métropole et affirmaient le principe que le sol français ne pouvait recéler des esclaves. L'humanité, la conception fortement éclairée des magistrats français, ouvraient les portes des geôles royales à ceux des Africains enfermés comme tels. Parfois l'initiative était prise d'avertir, par voie d'affiche, les nègres « qu'ils sont libres, indépendants et même égaux à ceux qu'ils regardaient comme des êtres supérieurs qu'ils étaient destinés à servir » (74). Ainsi s'explique l'affluence des nègres en France, affluence qui provoqua de nouveaux commentaires où l'on montrait le royaume en proie à une lente invasion noire ou aux prises déjà avec un péril nègre. A Louis XVI, les Africains apparaissent, sur le sol français, autrement funestes pour le mal qu'ils peuvent faire que pour la conservation de la race blanche. Les raisons supérieures qui décidaient l'envoi des nègres en Europe (apprentissage de métiers, domesticité gratuite des opulents planteurs de passage ou définitivement fixés en France), lui paraissent également secondaires, tant il est urgent d'empêcher la promiscuité de s'étendre. A l'arrêt du 3 mai 1716, promulgué pour réglementer l'entrée des noirs en France, succéda celui du 9 août 1777, pour interdire cette venue, la limiter à un séjour de trois mois, la subordonner à des formalités administratives et maritimes minutieuses, la soumettre notamment à des visas (75). Bientôt suivit l'arrêt du 5 avril 1778, pour défendre aux nègres de con-

(73) (74) (75) nique,

Doc. Doc. Doc. t. 1,

pub. par DESSALLES : pp. 344-345. pub. par L. PEYTRAUD : p. 415. cité par DESSALLES : Annales du Conseil Souverain de la Martipp. 374-378.


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