Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA MARTINIQUE

que prennent les nègres de se rendre marrons augmentent tous les jours, et y en ayant un nombre considérable qui ont des armes, je me crois dans l'obligation de vous en avertir pour que vous ordonniez fortement aux commandants de faire régulièrement, tous les ans, les deux chasses générales que l'on a observées de tout temps pour les réduire et les remettre dans le devoir, car ils ne laissent pas d'insulter de temps en temps les passants, ce qui pourrait avoir des suites fâcheuses (59)... » Le désir de la liberté éprouvé par les Africains était d'ailleurs explicable, car outre la tyrannie des maîtres et le travail obligatoire qu'ils enduraient, l'article 28 déclarait qu'ils ne devaient rien posséder. Tout ce qu'ils pouvaient avoir, même par donations, était acquis d'office aux seigneurs, sans que leurs femmes ou leurs descendants pussent en aucun cas prétendre à leurs successions. Le nègre restait donc la chose du blanc, et attaché à ses terres, il suivait le sort de celles-ci. Aussi, pour ne pas le soustraire du champ qu'il bêchait, le roi ordonnait, par l'article 48, qu'il était, de quatorze à soixante ans, insaisissable quand l'acte de la saisie ne revendiquait que lui en paiement d'une dette. Considéré comme un outil agricole, l'esclave était aliénable avec la propriété elle-même. Lui, sa femme et ses enfants impubères ne pouvaient être vendus séparément (art. 47). Enfin, aux termes de l'article 27, les esclaves infirmes par suite de vieillesse ou par accidents de travail, devaient être nourris et entretenus par leurs maîtres. Lorsqu'ils étaient atteints de maladies incurables, ceux-ci avaient le droit de les abandonner dans les hôpitaux, où ils vaqueraient à des travaux légers. Pourtant, la charité paraissait être bien mal comprise. Comment étaient traités les malades ou les mutilés du régime esclavagiste ? Il semble qu'au début de la traite, les nègres n'avaient pour tout médicament que les drogues ou herbages préparés par eux-mêmes et dont ils supposaient connaître les vertus. La mortalité s'étant accrue de ce fait, et l'autopsie ayant révélé des traces d'empoisonnement, les autorités martiniquaises s'alarmèrent, firent défenses aux nègres, par arrêt du 20 mai 1720, sous peine de mort, de s'occuper des traitements de maladies, sous quelque prétexte que ce soit, sauf pour donner des soins aux personnes atteintes de morsure de serpent (60). En conséquence, les malades recevraient les soins exclusifs des chirurgiens ayant brevet du roi. L'arrêt cependant n'édictait aucune prescription sur l'hygiène, la propreté à observer dans les établissements hospitaliers des Africains. Il est permis de croire (59) Arch. Nat. Col. C8A-17. Corresp. générale, 1709. Reg. non paginé. (60) Arch. Nat. Col. F3-249. Code de la Martinique, p. 119. Des cas d'empoisonnement furent signalés aux autorités de l'île avant cette ordonnance et celle de 1685, qui n'en fait nullement mention.


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