Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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L'ÉTAT SOCIAL DE LA MARTINIQUE

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rédigé d'une façon qui peut paraître bizarre (47). Malgré tout, de notables progrès furent réalisés comme le constate Du Tertre : « Nous ne sommes pas, dans nos maisons, de l'opinion de plusieurs habitants qui croient qu'une bonne maxime pour tenir les nègres dans le devoir, c'est de les tenir dans une crasse ignorance de toutes choses, excepté de ce qui regarde leur travail; nous sommes bien aises que les nôtres apprennent à lire et à servir la messe (48). » Le législateur, en voulant convertir au catholicisme les nègres idolâtres, devait les faire jouir du repos dominical et des jours fériés, mesures qui avaient été d'ailleurs édictées par un arrêt du 7 octobre 1652 (49). L'esclave avait donc, à la fin de chaque semaine, au moins un jour de repos complet et il ne devait pas même l'employer au ravitaillement des marchés publics (50). Il avait ainsi tout le loisir d'assister aux cérémonies religieuses et au catéchisme à l'issue de la messe. La soumission, l'obéissance, la docilité, l'abnégation par amour de Dieu tout-puissant et bon, étaient les vertus enseignées à lui, car l'édit reconnaissait au maître, par l'article 42, le droit de le commander, de le battre, sauf cependant de le mutiler ou de le torturer. « Vous m'avez ordonné, écrivait l'intendant Blondel le 15 mars 1728, de faire exécuter l'arrêt rendu, le 9 janvier 1727, contre le sieur Cartier, convaincu d'avoir coupé le jarret à son nègre pour l'empêcher de retourner au marronnage. J'y ai eu toute l'attention que vous me recommandez. Son nègre a été remis, avec l'amende de 1000 livres, aux religieux de l'hôpital du Fort-Royal, et il a payé l'amende au roi de 10 livres (51). » Il n'est pas nécessaire d'insister sur ce point en citant d'autres exemples qui montrent que (47) « Toy sçavoir qu'il y a un Dieu : luy grand Capitou, luy sçavoir tout faire sans autre l'ayder : luy donner à tous patates (pain) : luy mouche manigat pour tout faire, non point comme luy. Vouloir faire maison, non faire comme homme, car toy aller chercher hache pour bois, puis couper roseaux, prendre mahoc et lianes et ainsi pequins faire case. Or Dieu mouche manigat, luy dit en son esprit, moy vouloir homme, luy preste miré homme. Enfin luy envoyé meschant en bas en enfer, au feu avec Mabohia et autres sauvages qui n'ont vouloir vivre en bons chrétiens. Mais tous bons chrétiens, luy bons pour mettre en son paradis où se trouve tout contentement, nul mal, nul travail, et nulle servitude ou esclavage, mais une entière joye et parfaite liberté. » (ANDRÉ CHEVILLARD : Les desseins de Son Eminence de Richelieu pour l'Amérique, pp. 145 et suiv.) A cette prière, un nègre fit la réflexion suivante : « Père, toi dis que bons chrétiens quand mourir, luy aller en haut avec Dieu, meschant en bas pour brusler : où est-il grande échelle pour monter et le trou pour tomber et descendre ? » (Ibid.) (48) Du TERTRE : t. 2, p. 511. (49) Doc. pub. par MOREAU DE SAINT-MÉRY : Lois et constitutions des colonies, t. 1, p. 73. (50) Par arrêt du 13 octobre 1686, cette décision fut rapportée à la demande du Conseil Supérieur de la Martinique. En conséquence, à l'issue des messes, l'esclave pouvait ravitailler les marchés publics. (51) Arch. Nat. Col. C8A-39. Corresp. générale, 1728. Reg. non paginé.


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