Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE POLITIQUE

ET

ÉCONOMIQUE DE

LA

MARTINIQUE

sociaient pour mettre en valeur une habitation de grande superficie. Cet acte de société prenait le nom de matelotage (24). Le climat antillais fut peu propre à ces travailleurs métropolitains, dont le nombre décrut rapidement. Le travail forcé qu'on exigea d'eux contribua beaucoup à leur extinction. Il n'entrait pas, cependant, dans les vues du gouvernement de réserver à l'engagé un sort cruel. Faire de lui un auxiliaire indispensable du seigneur ou du maître, capable d'efforts, d'initiative et surtout d'influence dans les ateliers des noirs pour une meilleure discipline, la bonne exploitation des îles, tel paraît avoir été son but. Sans doute, l'engagement n'aurait jamais existé s'il n'avait eu pour mobile un principe honnête, le remboursement au maître, par l'immigrant, de ses frais de voyage. En outre, l'administration supérieure pensa épargner à celui-ci les déboires d'une existence vagabonde, en le plaçant sous la tutelle d'un compatriote assez puissant pour le secourir. Aussi pouvons-nous dire, sans crainte d'exagération, que l'inhumanité des habitants contrecarra le projet gouvernemental. Liberté, noblesse et dignités pouvaient échoir aux engagés. On vit certains de ces hommes siéger au Conseil Souverain de la Martinique. A cette époque de grande aristocratie, pouvait-on demander au régime monarchique des actes plus libéraux ? N'y avait-il pas là, vraiment, la consécration d'un programme démocratique aux îles, et n'était-ce pas une garantie donnée à ces fils de basse extraction, mais de mérite et de bonne conduite ? (25). « En envoyant des engagés, dit Peytraud, le gouvernement ne semble pas avoir eu alors la pensée de créer aux Antilles le travail européen, mais bien plutôt d'y constituer la propriété européenne (26). » L'œuvre coloniale des engagés ne saurait passer inaperçue. Elle fut la cheville ouvrière de l'entreprise délicate qui consistait à bâtir et à créer aux lieux mêmes où l'on ne voyait que marais et joncs.

(24) Arch. Nat. Col. F3-41. Relation de l'establissement des Français, depuis 1635, en l'isle de la Martinique, par le Père Bouton, f° 44. (25) Voir la liste des officiers du Conseil Supérieur et de la juridiction ordinaire de la Martinique, en 1711. On y compte trois engagés. (Arch. Nat. Col. C8B-3. Corresp. générale, 1710-1718. (26) L. PEYTRAUD : L'esclavage aux Antilles Françaises avant 1789, p. 22.


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