Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

Page 242

234

HISTOIRE

POLITIQUE

ET ÉCONOMIQUE

DE

LA

MARTINIQUE

qui avait favorisé la culture de la canne, ne semblait plus disposé à favoriser l'industrie locale tant de fois conseillée. Celle-ci avait fait naître en France, comme nous l'avons vu, des raffineries pour blanchir le sucre brut. Il fallait donc que les colonies continuassent à fournir aux établissements lointains la matière première. Tant qu'elles se bornèrent à ce rôle, encore qu'il y eût certaines plaintes sur la qualité du sucre brut, le gouvernement français ne crût pas devoir intervenir autrement que pour enrayer la fraude (66). Mais à partir du jour où la Martinique construisit des raffineries et expédia en France du sucre raffiné, les raffineurs métropolitains protestèrent énergiquement auprès du pouvoir central. Leurs démarches aboutirent à des mesures sévères qui compromirent l'activité économique de la colonie. En effet, dès 1681, les industriels de France, plus près du pouvoir et plus à même de faire entendre leurs voix, avaient réussi à faire interdire la sortie du royaume du sucre brut, en invoquant que ce commerce favorisait les fabriques étrangères et privait l'industrie nationale de la matière première (67). Cette prohibition aurait pu être juste, si l'obligation d'achat de toute la production coloniale avait été imposée à ces industriels. Elle devenait injuste, parce que tout le surplus de cette production allait non seulement encombrer le planteur créole, mais encore être taxé à bas prix. Par cette mesure, les raffineurs de France se trouvèrent les véritables maîtres de la production coloniale dont le prix, à nouveau, s'avilit. Les colonies se trouvèrent à la veille de leur ruine. Les créoles se livrèrent désespérément à la raffinerie. Mais pour les décourager, on prétendit qu'en moins d'un an plus de 50 vaisseaux, qui desservaient la ligne des Antilles, étaient restés à leurs ports d'attache, parce que le sucre raffiné avait moins de volume que le brut et nécessitait, donc, moins de navires pour son transport (68). Sa fabrication aux îles causait en outre deux autres préjudices : 1° aux raffineries de France qui ne sauraient soutenir la concurrence des raffineries d'outremer; 2° aux négociants de la métropole dont les marchandises n'auront guère de débit aux îles, puisque moins de vaisseaux quitteront désormais les ports de France à destination de ces

(66) Ordonnance du 3 février 1671, du gouverneur général de Baas, invitant les habitants à mettre beaucoup de scrupules dans leur livraison de sucre brut, à peine de confiscation et de punition corporelle en cas de récidive. (Arch. Nat. Col. F3-247, fos 537 et suiv.) Convention passée entre les habitants de la Martinique et les marchands pour empêcher les falsifications ou fraudes des marchandises (23 janvier 1678). (Arch. Nat. Col. F3-248, fos 279-286.) (67) E. BOIZARD et H. TARDIEU : Histoire de la législation du sucre, p. 5. (68) E. BOIZARD et H. TARDIEU : pp. 5 et suiv.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.