Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA MARTINIQUE

colons qui ne veulent pas s'endetter davantage pour construire des raffineries, sachant d'ailleurs que le sucre raffiné est une nouvelle fabrication du brut qui nécessite un temps assez long. Accepter l'industrie de la raffinerie, disent-ils, c'est appréhender la prorogation à grand frais de leurs engagements arrivés à échéance, ou la saisie de leurs bêtes et nègres (57). Par contre, ne fabriquer et ne vendre que du sucre brut, c'est pouvoir répondre facilement de ses obligations dans les délais prévus. b) Autres considérations financières. —- La raffinerie ne pouvant s'acquérir que par de grandes dépenses pour l'achat de chaudières, bâtiments, etc..., les habitants n'ont pas les ressources pécuniaires suffisantes pour l'entreprendre. Aussi insistent-ils pour que cette industrie soit confiée à des mains expertes, pour la cuisson du sirop en sucre, car « toute chaudière manquée serait autant de perte et cette perte est irréparable ». c) Considérations commerciales. — Les colons craignent, d'autre part, que les marchands n'achètent le sucre raffiné sous la rubrique « sucre terré brun », et ne le fixent à un prix inférieur à sa valeur réelle (58). En conséquence, le gouverneur général Baas suggérait à Colbert de mettre un taux au sucre blanc des îles, taux qui sauvegarderait les intérêts en jeu et encouragerait la sucrerie coloniale (59). Il demandait aussi l'envoi aux îles de six raffineurs métropolitains (60). Mais la guerre éclata entre la France et la Hollande. L'inondation du pays ennemi devant l'invasion des troupes de Louis XIV amena Colbert à intensifier sa propagande en faveur de l'industrie antillaise (61) qui devait aider celle de la métropole et accaparer, de manière stable, les autres marchés européens et y répandre du sucre abondamment. Le 29 septembre 1672, il intervint de nouveau auprès de Baas : « Vous savez combien il importe, écrivit-il, au commerce des îles françaises de l'Amérique, de porter les habitants à raffiner eux-mêmes leurs sucres et les rendre par ce moyen d'un débit plus facile et plus assuré ; aussi, je me contenterai de vous dire que la Compagnie des Indes Occidentales ayant chargé le sieur de Loover, habitant de la Guadeloupe, des ordres, instructions et ustensiles néces-

(57) Ce point litigieux entre colons et marchands fut plus tard réglé par le Code noir, publié en 1685, qui déclara (art. 48) que les nègres et bestiaux ne peuvent être saisis, ni vendus séparément de l'habitation du maître. (58) Arch. Nat. Col. C8A-1. Baas à Colbert, lettre du 28 février 1672. (59) Cette suggestion ne fut pas retenue. Colbert étant systématiquement opposé à la taxation du commerce entre Français. (Voir commerce, p. 258.) (60) Ces six raffineurs devaient être répartis par deux, dans les îles de Saint-Christophe, Martinique, Guadeloupe. (Arch. Nat. Col. C8A-1. Baas à Colbert, 28 février 1672.) (61) PAUL-M. BONDOIS : p. 50.


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