Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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L'AGRICULTURE ET L'INDUSTRIE A LA MARTINIQUE

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sur les lattes et reçoit, de celui qui le sert, les têtes de cannes ou de roseaux. Il passe la tête de canne entre le roseau et la latte où il est attaché et la tire jusqu'à ce que la moitié soit passée; pour lors, il la ploie sur le roseau, les bouts des feuilles demeurent dessous et la tête de canne dessus. Il continue ainsi, ayant soin de presser le plus qu'il peut les cannes les unes contre les autres et de lier, d'espace en espace, le roseau avec la latte avec des aiguilles de miby ou de jonc, dont il a un paquet à sa ceinture, afin que le poids des cannes ne le fasse pas ployer et qu'il demeure étendu, bien droit le long de la latte. Quand le premier couvreur est avancé de six ou sept pieds à garnir le long du roseau qu'il a commencé, un autre ouvrier monte au-dessus de lui et attache le bout d'un roseau à la latte qui est dessus celle où le premier a commencé et à mesure qu'ils avancent, on multiplie le nombre des couvreurs, afin d'avancer l'ouvrage. On met pour l'ordinaire un serviteur pour deux couvreurs et, s'ils travaillent bien, il a assez de peine à leur fournir les têtes de cannes, quoiqu'il les ait en paquet à ses côtés (12). » Lorsque ces couvertures ou, si l'on préfère, ces toits de chaume étaient faits avec soin, ils étaient impénétrables à l'eau et leur durée dépendait de l'emplacement humide ou non de la case, de la saison pendant laquelle les roseaux avaient été coupés. Les têtes de cannes mûres étaient préférables aux jeunes : car elles résistaient mieux aux intempéries. On dut se contenter à l'origine de la colonie de ces chaumières, faute d'ouvriers charpentiers. Telle est d'ailleurs l'opinion du Père Bouton qui énumère tous les profits qu'on pourrait tirer du sol. « Les pierres, la chaux, la brique n'y manqueraient pas s'il y avait des ouvriers pour les mettre en œuvre et si on s'en voulait servir : mais partie pauvreté des habitans, partie le manquement d'ouvriers et en partie aussi le peu de nécessité qu'il y a de se mieux couvrir, le chaud y estant continuel, ont fait négliger ces commodités, pour se contenter de cases à la mode des sauvages faites des roseaux ou pieux, couvertes de feuilles de palmistes, roseaux et autres (13). » Insensiblement les habitants, qui savaient tirer largement profit de leurs engagés et de leurs nègres, abandonnèrent ces toits primitifs. Ils surent, avec les richesses du sol, bois, chaux, etc..., s'élever de belles maisons en bois, parfois en pierre, couvertes soit en essentes (14) soit en tuiles. Les demeures des habitants « bien (12)

J.

(13)

BOUTON :

Nouveaux voyages aux isles (1696), t. 3, pp. 16-18. Relation de l'establissement des Français, depuis (1635), en l'isle de la Martinique, p. 83. (14) Essentes : petite planche taillée comme une ardoise et servant au même usage. LABAT :


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