Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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LE RÉGIME

FISCAL

DE

LA

MARTINIQUE

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A côté de ces deux caisses, fonctionnait celle des nègres justiciés (43). Elle avait pour but d'encourager l'habitant à dénoncer les crimes que pouvaient commettre ses esclaves, pour que justice fût rendue, en le dédommageant de leur prix. Elle était sous la dépendance du receveur du domaine. Mais l'intendant d'Orgeville ayant jugé que la taxe perçue revenait plutôt à la colonie qu'au roi, tenant compte d'autre part des difficultés rencontrées pour son recouvrement, ordonna qu'elle serait distraite des recettes du domaine et sa comptabilité confiée au Conseil Souverain. Son ordonnance fut enregistrée le 8 janvier 1734. Un règlement local du 8 mai mit en régie la perception de l'impôt; le greffier du Conseil fut établi receveur général, les marguilliers de chaque paroisse furent nommés receveurs particuliers et chargés en cette qualité de procéder aux recettes. En général, les ressources de cette caisse étaient toujours pauvres, elles arrivaient à peine à suffire aux dépenses courantes. C'était pour parer à son insuffisance que le Conseil Supérieur, qui en avait l'administration, avait voté un impôt de 12 sols par tête de nègre pour dédommager les habitants de leurs esclaves tombés au champ d'honneur: impôt, on se le rappelle, contesté par Dubuc de SaintePreuve. Sous la domination anglaise, la caisse des nègres justiciés, réunie à celle de la colonie, prit le nom de caisse coloniale. Après le traité de Paris qui entraîna la restitution de la colonie à la France, elle fut remise sur l'ancien pied. Elle possédait alors 63.068 livres. Mais confiée à des mains parfois peu scrupuleuses, elle connut, en 1771, un détournement de 43.265 livres opéré par un sieur de Monsigny-Duverval, qui était en fuite lorsque Sa Majesté envoya un ordre au Conseil Supérieur pour l'inviter à prélever sur elle les appointements du député des Conseils Supérieurs (44), de celui de la chambre d'agriculture et de son secrétaire (au total 25.700 livres) (45). En 1772, et malgré les humbles supplications du Conseil pour que cette nouvelle imputation fût reportée sur la caisse du domaine, celle des nègres justiciés vit accroître ses charges de 9.000 livres, somme accordée à titre d'augmentation au député de la chambre d'agriculture (46). L'embarras financier et l'impossi(43) La caisse des nègres justiciés n'est pas, déclare formellement Dessalles, comme quelques personnes se l'imaginent, une cotisation libre et volontaire des colons, un établissement formé par eux, qu'ils soient les maîtres d'anéantir à leur volonté. Cette caisse doit son existence à l'initiative du roi. Le titre de sa création existe dans l'article XL du Code noir. (44) Le député des Conseils Supérieurs était Petit. Il représentait les Conseils des îles du Vent et Sous-le-Vent. (45) La colonie ne perdit pas cette somme. Elle fut remboursée par le frère du comptable indélicat, le sieur Monsigny de Courbois, qui sollicita à cet effet des facilités de paiement. (46) Doc. pub. par DESSALLES : t. 1, pp. 267-275.


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