Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE

POLITIQUE ET

ÉCONOMIQUE DE LA

MARTINIQUE

voudraient qu'à toute heure, en tout lieu et dans les actions de la vie les plus indifférentes, mesme respect leur fut rendu que lorsqu'ils prononcent ex-cathedra. Un habitant qui, dans le commerce ordinaire de la vie civile ou mécanique, n'ayant point aperçu un conseiller, ne l'a pas salué, leur paraît criminel et digne des plus grandes punitions, cet habitant, hors le grade, leur étant quelquefois supérieur en tout puisqu'il y a peu de nos conseillers qui ne soient de la plus vile et de la plus basse extraction (43). Malgré ces jugements sévères, le maintien de toutes les prérogatives dont jouissaient les conseillers colons était cependant nécessaire. Du moins, la cour le pensa-t-elle puisqu'elle répondit en ces termes au gouverneur général : « Si on changeait quelque chose à l'usage qui était établi de tirer autant de coups de canon qu'il y a de conseillers lorsqu'ils vont en corps rendre visite au gouverneur général, cela avilirait la dignité du Conseil ; aussi, Sa Majesté désire que vous observiez à cet égard ce qui a été pratiqué par le passé (44). » Ce droit paraissait donc bien acquis, lorsque, le 1er janvier 1720, le gouverneur Feuquière enjoignit aux officiers de se tenir prêts à former la haie au passage des conseillers qui, en corps, venaient lui exprimer des vœux de bonne année. L'exécution de cet ordre eut lieu non sans de vives protestations des militaires qui le considéraient comme « une prétention nouvelle » portant atteinte au prestige de l'armée (45). Ayant été saisi par eux du différend, le roi apaisa le conflit en décidant (8 avril 1721) que désormais le Conseil, sous quelque cause et prétexte que ce soit devait s'abstenir d'aller saluer le gouverneur général ni aucune autre personne (46). Aussi, en 1779, le Conseil ne fit-il aucune réception officielle au comte d'Estaing, bien que celui-ci l'eût invité à dîner à bord de son vaisseau et eût fait tirer en son honneur treize coups de canon (47). Déjà, à l'égard du gouverneur général Bompar, il avait refusé, en 1757, de lui rendre visite en corps à l'occasion de son départ, alléguant les ordres formels de 1721. Cet incident détermina le ministre Moras à déroger à la règle établie, sous le prétexte que les services signalés rendus au pays par l'ancien gouverneur général, et ses qualités personnelles, devaient déterminer « le Conseil Supérieur à ne pas balancer de lui donner une marque (43) Arch. Nat. Col. C8A-18. Corresp. générale, 1712. (44) Arch. Nat. Col. F3-251. Lettre du ministre, du 4 avril 1712, adressée au gouverneur général Phélipeaux, f° 47. (45) Arch. Nat. Col. F3-252. Mémoire du Conseil Souverain de la Martinique du 15 janvier 1721, f° 15. (46) Arch. Nat. Col. F3-252. Ordre du roi du 8 avril 1721, f° 35. (47) Doc. pub. par DESSALLES : t. 1, pp. 479-481.


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