Histoire politique, économique et sociale de la Martinique sous l'Ancien Régime

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HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA MARTINIQUE

tres, mais il ne voulut point lever l'embargo mis sur le navire étranger. Les Latouche se montrèrent peu satisfaits de cet arrangement et réclamèrent avec plus d'insistance encore leur vaisseau. Le général, opposant cette fois à leur prétention un refus catégorique, les rapports entre lui et cette famille devinrent tendus. Alors, les protestataires résolurent d'agir. Audacieusement, ils partirent en canot, par une nuit obscure, de l'Acajou au Fort-Royal. Jetant l'amarre à l'avant du Saint-François-Xavier, ils firent une brèche à l'aide d'un vilebrequin et d'une égohine, ôtèrent d'une cachette connue d'eux 50.000 écus, puis rebouchèrent l'ouverture faite, s'éloignèrent, sans attirer l'attention des soldats qui veillaient (qui dormaient plutôt) sur le pont ou dans les cabines (34). Ainsi prit fin la lutte qu'avaient entreprise les Latouche contre les autorités locales. Cette issue heureuse pour eux ne vient-elle pas aggraver leur culpabilité dans le mouvement insurrectionnel ? En France, le Conseil de Marine n'avait fait relativement à cette sédition qu'accumuler des dossiers volumineux et contradictoires qui, au lieu de la simplifier, compliquait sa tâche. Il lui paraissait ardu de découvrir, au milieu de tant d'intrigues, les vrais coupables. La Varenne et Ricouart, eux-mêmes, n'avaient pu accuser les habitants que par présomption, à l'exception de Dubuc qu'ils regardaient comme le chef. Que faire ? Le jeune roi, dit-on, avait souri au récit de cette aventure ; le régent, bienveillant par nature, penchait vers la clémence. Il fallait pourtant donner à la colonie, qui se disait repentante, un exemple pour que, désormais, elle admît le principe de l'autorité. L'amnistie fut accordée. L'enregistrement se fit au Conseil Souverain, le 16 juillet 1718. Le pardon s'étendait à tous les habitants, à l'exception des sieurs Bélair, d'Orange, Cattier, Labat, Bourgelas et Dubuc. Les cinq premiers quittèrent aussitôt l'île (35). Ils furent condamnés par contumace et exécutés en effigie. Dubuc, courageusement, se constitua prisonnier à la forteresse du FortRoyal (36), d'où, son procès instruit, il fut envoyé en France, et Feuquières implora sa grâce avec insistance par une lettre du

(34) Arch. Nat. Col. C8A-22. Anonyme du 21 juillet 1717. Cet argent, déclare l'anonyme, fut porté chez Valmenières. L'incident fut connu par les autorités qui firent des perquisitions demeurées sans résultat. (35) « Nous aurions reconnu, l'intendant et moi, que c'est à la seule sollicitation de Latouche et même de Valmenières que les cinq proscrits : Bélair, d'Orange, Cattier, Labat, Bourgelas, ne s'étaient pas rendus au fort, suivant les ordres du roi et au désir de l'amnistie. » (Arch. Nat. Col. C84-24. Feuquières au Conseil de Marine [22 octobre 1718].) Cette déclaration ne vient-elle pas renforcer les accusations de l'anonyme du 21 juillet 1717 ? (36) Arch. Nat. Col. C8A-24. Feuquières au Conseil de Marine (18 septembre 1718).


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