Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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LA

VIE

DES

HABITANTS.

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gieux lui ayant fait quelque remontrance à ce sujet, il répondit brusquement qu'il avait été engagé et qu'il n'avait pas été épargné ; qu'il était venu aux îles pour gagner du bien et que, pourvu qu'il en gagnât et que ses enfants allassent en carrosse, il ne se mettait pas en peine d'aller au diable. Un bon h o m m e , extrêmement pauvre, ayant appris que son fils était richement établi à la Guadeloupe, s'engagea à un marchand qui avait reçu de l'argent de ce fils pour lui acheter des gens. Le marchand s'imagina qu'il rendrait un b o n office au fils en lui amenant son père, et le père crut être à la fin de ses peines ; mais il fut trompé dans son attente, car ce fils dénaturé l'envoya travailler, et, c o m m e il n'en faisait pas autant que les autres, il n'osa, à la vérité, le battre, mais il le vendit à un autre habitant, qui. sachant ce qu'il était, lui donna de quoi vivre et la liberté. Il n'est pas besoin que j e cite d'autre aventure que celle qui m'est arrivée à m o i - m ê m e , pour faire connaître leur barbarie. J'ai déjà dit qu'à mon arrivée à la Tortue, j e fus exposé en vente par le commis général de Messieurs de la Compagnie et acheté par lui. Mais au lieu de m ' e m p l o y e r à ce qui regardait ma profession, c o m m e j ' e n étais convenu avec la Compagnie, il me condamna aux emplois les plus bas et les plus serviles. J'offris de lui payer tous les j o u r s deux écus, pourvu qu'il me permît de m'occuper de ma profession : il ne voulut point m'accorder cette grâce. Un an après m o n arrivée, j e tombai malade, et, après avoir beaucoup souffert, lorsque j e me croyais sur le point de mourir, une sueur me tira d'affaire ; mais, à peine fus-je délivré de ce mal que j ' e n ressentis un autre aussi cruel. C'était la faim, et, par malheur, j e n'avais ni de quoi manger, ni la permission d'aller chercher des vivres : en sorte que j'étais contraint de me nourrir d'oranges amères, qui ne commençaient qu'à nouer. La nécessité fit que j e descendis du fort de la R o c h e , où demeurait mon maître, à la Basse-Terre. J'y rencontrai un secrétaire de M. le Gouverneur, qui me mena à sa maison et me donna à déjeuner, avec une bouteille de vin qu'il m'obligea d'emporter.

Mon maître, qui avait vu


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