Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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HISTOIRE

DES

AVENTURIERS.

peine était-il descendu et croyait-il se diriger vers la mer, la moindre trace des bêtes qui s'offrait à lui lui faisait perdre la route. En marchant, son chien, que la faim pressait aussi bien que lui, quêtait sans cesse. Quelquefois, il trouvait des truies qui avaient des petits ; il se jetait sur eux, en étranglait quelqu'un ; le maître, le secondant, courait aussi dessus ; et quand ils avaient fait quelque capture, le chien et le maître mangeaient ensemble du même mets. Ayant ainsi passé quelque temps, et s'étant fait à manger de la viande crue qui ne lui manquait plus, il s'accoutuma à cette chasse et apprit à connaître les lieux où il devait aller pour ne pas manquer son c o u p . Il trouva un j o u r des petits chiens sauvages ; il les éleva et leur apprit à chasser ; il instruisit même par divertissement des sangliers qu'il

avait pris. Enfin, au bout

année, il se trouva inopinément au bord de

d'une

la mer, mais il n'y r e n -

contra point son maître. C o m m e il s'était fait une seconde nature de la vie qu'il menait, il ne se donna plus de chagrin, jugeant que tôt ou tard il rencontrerait des h o m m e s , soit espagnols, soit français. En effet, deux mois après, il se trouva parmi une troupe de boucaniers, avec lesquels il se mit, et il leur conta son histoire. Ceux-ci crurent d'abord qu'il avait passé du côté des Espagnols, parce que son maître leur avait dit qu'il s'était fait marron ; mais l'état pitoyable où ils le virent leur fit connaître le contraire. Il n'avait qu'un méchant haillon, reste d'un caleçon, et une chemise dont il cachait sa nudité, avec un morceau de chair crue pendue à son côté ; deux sangliers et trois chiens qui le suivaient s'étaient tellement a c c o u tumés ensemble et avec lui, qu'ils ne voulurent jamais le quitter. Les boucaniers le mirent en liberté, c'est-à-dire qu'ils le dégagèrent

du

service de son maître. Ils lui donnèrent en même temps des armes, de la poudre, du p l o m b pour chasser c o m m e eux ; en sorte qu'il est devenu un des plus fameux boucaniers de cette côte. On a remarqué que ce garçon eut bien de la peine à reprendre l'usage de la viande cuite. Lorsqu'il en mangeait, outre qu'elle ne lui semblait pas bonne, elle lui faisait mal à l'estomac, si bien que, quand il écorchait un sanglier, il ne pouvait s'empêcher d'en manger un morceau tout cru. La récompense que les boucaniers donnent à leurs valets, lorsqu'ils


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