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HISTOIRE
DES
AVENTURIERS.
manière que les autres chassent les bœufs, excepté qu'ils a c c o m m o d e n t la chair autrement. Lorsqu'ils sont réunis le soir de la chasse, chacun écorche le sanglier qu'il a apporté et en ôte les os ; il coupe la chair soit par aiguillettes, soit c o m m e les femmes en France dépècent la panse des c o c h o n s pour faire des andouilles. Quand cette viande est ainsi coupée, ils la mettent sur des bâches et la saupoudrent de sel battu fort menu ; ils la laissent c o m m e cela jusqu'au lendemain, quelquefois moins si elle a pris son sel et qu'elle jette sa saumure ; après quoi, ils la mettent au boucan. Ce boucan est une loge
couverte de
bâches qui la
ferment
tout
autour. Il y a vingt à trente bâtons gros c o m m e le poignet et longs de sept à huit pieds, rangés sur des traverses environ à demi-pied l'un de l'autre. On y met la viande et on fait force fumée dessous ; les b o u c a niers brûlent pour cela toutes les peaux de sangliers qu'ils tuent, avec leurs ossements, afin de faire une fumée plus épaisse. A la vérité, cela vaut mieux que du bois seul ; car le sel volatil qui est contenu dans la peau et dans les os de ces animaux s'attache à la viande qui a pour lui bien plus de sympathie que pour le sel volatil du bois, qui m o n t e avec la fumée. Aussi cette viande a un goût si exquis, q u ' o n peut la manger dès qu'elle sort du boucan, sans la faire cuire ; et quand même on ne saurait ce que c'est, l'envie prendrait d'en manger en la voyant, tant elle a bonne mine ; car elle est vermeille c o m m e la rose et a une odeur admirable. Mais le mal est qu'elle ne dure que très peu en cet état : six mois après avoir été boucanée ou fumée, elle n'a plus que le goût du sel. Quand ces gens ont amassé une certaine quantité de viande, ils la mettent en paquets ou en ballots, dans ces bâches qui servent à l'emballer. Ils font les paquets de soixante livres
de viande nette, et les
vendent six pièces de huit chacune ; ils fondent le saindoux du p o r c sanglier et le mettent dans des pots p o u r le débiter aux
habitants.
Chaque potiche de mantègue, c'est ainsi qu'ils n o m m e n t cette graisse, vaut six pièces de huit. Le plus malhabile de la troupe demeure au boucan pour apprêter à manger aux autres et pour fumer la viande. Il y a des habitants qui e n -