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HISTOIRE
DES
AVENTURIERS.
au plus fort. Un flibustier de ce caractère s'approcha de celle qui lui avait agréé et se tenant debout devant elle, appuyé sur son fusil, lui parla en ces termes : « Je ne vous demande point compte du passé, vous n'étiez pas à m o i . Répondez-moi seulement de l'avenir, à présent que vous allez m'appartenir ; j e vous quitte de tout le reste. » Puis frappant de la main sur le canon de son fusil : « Voilà, dit-il, ce qui me vengera de vos infidélités ; si vous me manquez, il ne vous manquera pas. » Ensuite il l'emmena et les autres flibustiers en firent de m ê m e . Il n'en demeure point, à moins qu'il ne se trouve plus de filles que d'aventuriers. Messieurs de la Compagnie, ne voyant venir que fort peu ou point de marchandises qu'ils avaient envoyées à la Tortue depuis deux
ans
qu'ils en étaient en possession, résolurent de faire payer ce qu'on leur devait et d'y laisser aller les marchands. Ils envoyèrent, c o m m e j e l'ai déjà dit, cet ordre par le navire n o m m é le Saint-Jean
en l'année 1 6 6 6 .
M. d'Ogeron se servit de cette occasion pour y faire venir des navires marchands, où il était intéressé. Ceux-ci apportèrent des marchandises et en remportèrent d'autres qui se fabriquaient là, c o m m e du tabac et des cuirs.
L'année
suivante,
il
alla l u i - m ê m e en
France,
laissant
M. de P o i n c y , son neveu, à sa place. A son arrivée, il fit connaître à quelques particuliers l'état de la c o l o nie et les grands profits q u ' o n pourrait tirer de ce pays-là. Il les pria de lui faire renouveler sa commission et il s'associa avec eux, à condition qu'ils lui enverraient tous les ans douze navires chargés de marchandises. Il s'obligea outre cela de fournir les habitants esclaves et de détruire les chiens sauvages de l'île de Saint-Domingue. L'année suivante, M. d'Ogeron retourna à la Tortue et fit signifier sa commission aux habitants. 11 leur promit qu'ils ne manqueraient de rien et les assura qu'ils pouvaient dorénavant envoyer leurs
marchandises
pour leur compte. Avant ce temps-là, les marchands étrangers et français n'osaient venir négocier dans cette île ni à la côte de Saint-Domingue. On n'y voyait que des bâtiments de cette Compagnie, et ils étaient si petits que les habitants ne pouvaient y embarquer leurs marchandises sans une grande