Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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HISTOIRE DES AVENTURIERS.

m'a dit qu'il a perdu en ce temps-là, dans une année, trois cent mille écus, tant en bâtiments qu'en marchandises. Le chevalier, se voyant si bien affermi dans son île, crut que toutes les forces espagnoles ne seraient pas capables de l'ébranler. Il permit à tous ceux qui le voudraient, d'aller en course et se laissa ainsi dégarnir. 11 ne songeait à rien moins qu'à une attaque, lorsqu'un j o u r un boucanier vint l'avertir qu'il avait vu paraître une armée navale espagnole qui, selon toutes les apparences, avait quelque dessein sur la Tortue. Le c h e valier, qui était actif et tout de feu, mit à l'instant ce qui lui restait de monde en ordre, c o m m e si les ennemis eussent déjà été

en présence.

Alors, quelques boucaniers s'éprouvèrent à jeter des grenades au bas des bastions, ce qui donna lieu à un étrange accident. Thibaut, l'un des assassins dont j'ai parlé, qui avait évité la justice des h o m m e s et qui devait craindre celle de Dieu, prit,

à l'exemple des

autres, une grenade ; mais c o m m e il se préparait à la jeter en l'air, son bras s'engourdit, et la grenade creva dans sa main, qui était celle dont il avait poignardé M. Le Vasseur. Ce fut un spectacle horrible à voir : la main toute fracassée pendait plus d'un pied au-dessous du

poignet,

attachée encore à quelques nerfs que la violence du coup avait allongés. On regarda cet accident c o m m e une juste punition du ciel, sans se distraire néanmoins de l'empressement que chacun témoignait pour la défense de l'île. Mais ces soins étaient bien inutiles; les Espagnols, sachant le peu de monde qu'il y avait pour la défendre, étaient venus avec un armement considérable, et voyant que personne ne leur résistait, ils avaient mis leurs troupes à terre, au lieu de mouiller à la rade c o m m e ils avaient fait autrefois. Le chevalier, n'ayant que très peu d'habitants, se retira avec eux dans le fort de la Roche : les ennemis l'y attaquèrent en vain ; mais étant les maîtres de faire ce qu'ils voulaient, sans que personne pût s'y opposer, ils tinrent les Français bloqués et cherchèrent cependant une place d'où l'on pût battre le fort. Ils trouvèrent une montagne plus haute que la Roche, mais on n'y

pouvait monter à cause des précipices.

C o m m e les Espagnols ont beaucoup de flegme, ils tracèrent peu à peu leur chemin, et rencontrèrent à la fin un petit passage entre deux rochers ;


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