Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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PARTAGE DU BUTIN.

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s'ennuyaient dans ce lieu où ils ne faisaient pas grand'chère, ne m a n geant qu'une fois le j o u r un peu de maïs, dont il fallait se contenter. Le lendemain, on estima le pillage et on trouva qu'il se montait à quatre cent quarante-trois mille deux cents livres. Les pierreries furent vendues d'une manière assez inégale ; car les unes le furent trop et les autres trop peu. Morgan et ceux de son parti qui en achetèrent un grand nombre y trouvèrent fort bien leur c o m p t e , outre celles qu'ils gavaient retenues et qui ne leur coûtaient rien. D'ailleurs, quelques aventuriers avouèrent qu'ils avaient apporté bien des choses considérables que l'on n'avait pas mises à l'encan. Dès lors, chacun c o m m e n ç a à murmurer hautement, mais on sut les apaiser en leur faisant espérer qu'ils seraient contents. Il n'y avait personne qui ne s'attendît d'avoir au moins mille écus pour sa part. Ils furent bien étonnés, le partage fait, lorsqu'ils virent que tout était d'un côté et presque rien de l'autre, Morgan et ceux de sa cabale ayant détourné la meilleure part. Il n'en fallait pas tant pour porter ces gens à d'étranges extrémités. Il s'en trouva qui menacèrent de rien moins que de se saisir de la personne de Morgan et de ses effets. D'autres parlaient de lui faire sauter la cervelle. Les moins emportés voulaient qu'il rendit compte de ce qu'on lui avait mis entre les mains. Tandis qu ils formaient ces résolutions,

sans en exécuter

aucune,

Morgan, qui avait intérêt d'être instruit de tout, détachait des espions pour savoir leur pensée et pour les adoucir autant qu'il était possible. Mais, quelque chose q u ' o n pût leur dire, ils en revenaient toujours à considérer le grand butin qu'on avait fait et le peu de profit qu'ils en tiraient. Morgan n'oubliait rien p o u r les éblouir ; il ordonna de délivrer les vivres du fort à tous les vaisseaux et envoya les prisonniers de l'île de SainteCatherine à Porto-Bello, avec ordre de demander la rançon du fort de Chagre. On refusa de la payer, de sorte qu'après en avoir enlevé le canon et les autres munitions de guerre, il le fit démolir. Malgré tout cela, Morgan ne s'aperçut que trop que le n o m b r e et l'animosité des mécontents augmentaient sur sa flotte ; il craignit enfin que leur ressentiment n'allât jusqu'à lui j o u e r un mauvais tour. Il sortit de la rivière de Chagre, sans faire aucun signal, accompagné seulement de


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